Pour diagnostiquer plus finement les impacts, il faut pouvoir et savoir les mesurer. C’est un exercice complexe. Par ailleurs des défis de recherche restent à relever concernant la consommation d'énergie de l'IA. L’IA générative se distingue des autres services numériques par des exigences en puissance de calcul bien plus importantes : par exemple l’apprentissage des modèles prend plusieurs semaines sur des dizaines de milliers de GPUs.
Alors que le numérique représente déjà, selon l’Arcep, près de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), l’essor fulgurant de l’IA devrait doubler cette contribution dans les prochaines années. Les centres de données, véritables usines du numérique, sont en première ligne : aux États-Unis, ils ont généré 105 millions de tonnes de CO2 équivalent en un an, avec une intensité carbone 48% supérieure à la moyenne nationale. L’IA générative contribue grandement à l’expansion de ces titans de béton qui ont d’énormes besoins en électricité : les modèles d’IA générative modernes utilisent beaucoup plus d’énergie que leurs versions plus simples ou anciennes. En deux décennies nous sommes passés de simples régressions d’une dizaine de paramètres à des modèles de plusieurs milliers de milliards de paramètres. En termes monétaires, ce serait l’équivalent de passer du prix d’un café au PIB de la France.
Mesurer l’empreinte environnementale de l’IA est un exercice complexe, mais indispensable pour orienter l’innovation vers plus de frugalité
L’analyse de cycle de vie au cœur des mesures de l’empreinte environnementale de l’IA
Comme pour tout produit et service, pour avoir une vision réelle de l’impact de l’IA une analyse de cycle de vie ( ) est nécessaire. Cette démarche est normalisée par l’ dans les normes 14040 et 14044. L’enjeu d’une ACV est de tracer les impacts au cours de l’ensemble de la vie d’un produit pour ne pas négliger d’impacts importants hors de son usage. En effet, ces impacts comprennent notamment l’énergie et l’eau consommées, que ce soit pour stocker les données nécessaires à l’apprentissage des modèles, ou pour apprendre et exploiter les modèles, mais aussi les impacts de la production des équipements (extraction minière, fabrication, transport, …) nécessaires aux calculs et au stockage. La consommation d’énergie directe et la production des équipements impliquent une production de gaz à effet de serre : la production des équipements entraîne la raréfaction des sources abiotiques. On s’attachera donc à analyser la conception du système d’IA, son utilisation et sa fin de vie. L’IA se distingue par une forte mutualisation de certaines phases (la collecte, le prétraitement de données, l’apprentissage et l’inférence), ce qui rend l’allocation d’impact complexe. Elle se distingue également par la diversité des cycles de vie qui implique que chaque projet d’étude peut être très différent du précédent.
Par exemple si l’on considère la phase de collecte de données, comment doit-on évaluer l’empreinte environnementale d’un modèle comme GPT-4, qui utilise des données provenant de l’ensemble d’Internet ? Quelles méthodes peut-on adopter pour quantifier précisément cet impact ? Des travaux sont en cours, notamment à l’ , pour normaliser ces considérations afin de pouvoir finement choisir un modèle en fonction de son impact et intégrer cet impact à des études plus larges. En effet, mesurer l’impact d’un service numérique comme l’IA ne se limite pas à regarder uniquement son fonctionnement. Les conséquences de cette utilisation doivent pouvoir être analysées, qu’elles soient positives / négatives au premier ordre ainsi que les effets rebonds qu’elle peut induire. C’est ce que spécifient les normes L.1480 et L.1410 de l’ITU.
Par ailleurs, comme pour une analyse de cycle de vie, les données clés permettant ces calculs sont souvent manquantes, ou intriquées ce qui rend les mesures complexes. Attachons-nous au sujet classique pour l’IA, à savoir sa consommation d’énergie, cet indicateur est ainsi fortement lié aux autres puisque les systèmes qui requièrent le moins de calculs donc d’énergie ne nécessitent pas nécessairement l’achat de nouveaux matériels, ni la construction de nouveaux data centers.
Comment mesurer concrètement ?
Un processus d’IA ne s’exécute pas “dans le vide” ce qui rendrait la mesure de sa consommation simple. Typiquement, le code sera réparti dans plusieurs process, contenus dans une machine virtuelle, exécutée sur une machine physique contenant plusieurs / , elle-même dans un rack serveur au sein d’un datacenter. Même si des outils existent pour estimer plus ou moins finement la consommation de ces divers composants, les outils actuels n’offrent que des approximations de ces consommations. Il est donc nécessaire de bien connaître chaque outil pour savoir s’il majore ou minore la consommation et de savoir par quel facteur correctif approximer la consommation réelle (sachant que dans une ACV on ne doit jamais sous-estimer un impact).
Trois grandes catégories de mesures existent :
- Mesures externes : compteurs de puissance branchés sur le matériel.
- Profilage énergétique des composants ou des algorithmes.
- Mesures intégrées via des capteurs ou outils logiciels spécifiques (CPU, GPU, etc.).
Chaque méthode a ses limites : coût, précision, granularité. Par exemple, un compteur externe ne permet pas d’isoler la consommation d’un algorithme précis, tandis que les outils logiciels reposent souvent sur des estimations.
Plusieurs outils logiciels facilitent cependant l’estimation des émissions de GES liées à l’IA :
- Code Carbon : bibliothèque Python qui mesure la consommation CPU, GPU et , puis la convertit en émissions de CO2. Elle donnera cependant une consommation inférieure à la consommation réelle et ne permet pas de mesurer la consommation d’un appel à un modèle externe.
- ML CO2 Impact : estime les émissions à partir de la puissance des composants et de la durée d’utilisation, en tenant compte du fournisseur cloud et de la localisation.
- EcoLogits : évalue la consommation électrique, les émissions de GES, la déplétion des ressources et l’énergie primaire pour l’inférence des grands modèles de langage. Cette librairie tend cependant à surestimer la consommation des modèles fermés car elle ignore les optimisations faites lors du passage à l’échelle de ces modèles.
Ces outils, bien qu’imparfaits, offrent des ordres de grandeur utiles pour comparer modèles, infrastructures et algorithmes, et guider les efforts de réduction d’impact.
Vers une IA plus responsable
Mesurer l’empreinte environnementale de l’IA est un exercice complexe, mais indispensable pour orienter l’innovation vers plus de sobriété. Le choix des outils et des méthodes dépend des objectifs : évaluer l’impact global d’un service ou optimiser un composant précis. Attention toutefois à ne pas déplacer le problème : réduire l’impact d’un élément ne doit pas en augmenter un autre.
Trois défis de recherche liés à la consommation d’énergie dans l’IA sont à relever :
- La définition de mesures unifiées pour la consommation d’énergie des différents algorithmes et services. Car en l’absence d’une méthodologie commune aucune comparaison n’est réellement possible.
- L’évolution de ces mesures au fur et à mesure de l’émergence de nouvelles méthodes d’IA.
- La détermination de corrélations entre les variables mesurables (par exemple, la consommation d’énergie, l’empreinte carbone, les gaz à effet de serre) et les principaux efforts politiques et industriels.
L’IA, à la fois source de défis et d’opportunités, doit désormais conjuguer performance et responsabilité environnementale. C’est à ce prix qu’elle pourra contribuer à un avenir numérique durable.
Graphical Processing Unit, processeur de carte graphique optimisé pour le calcul et le parallélisme.







