● Romain Faroux, le directeur des opérations de La Ferme Digitale, explique que l’infrastructure et la robustesse des solutions sont des prérequis essentiels, souvent sous-estimés par les entrepreneurs du secteur.
● La donnée agricole, encore trop fragmentée et sous-exploitée, représente un levier clé pour l’avenir, à condition d’être mieux intégrée et partagée.
Comment percevez-vous l’adoption des technologies numériques dans le secteur agricole ?
Les technologies mettent du temps à arriver sur le marché.
Il y a 400.000 agriculteurs et 85.000 fournisseurs en France : l’écosystème est très éclaté. Il n’est pas possible pour un fournisseur de solutions technologiques d’arriver sur le marché avec une solution technologique descendante. Il faut partir des usages et des besoins pour comprendre les agriculteurs. Ce marché dépend pour sa dynamique du fait que les distributeurs y trouvent leur compte. Les coopératives, qui représentent 90% de l’agriculture en France, sont aujourd’hui des intermédiaires territoriaux essentiels. L’adoption technologique nécessite beaucoup de temps, de pédagogie et de développement de solutions ergonomiques.
Pour que les données soient pleinement exploitées, il faut qu’elles circulent plus facilement entre les différents acteurs : agriculteurs, fournisseurs, institutions publiques.
Quelles sont les conditions à l’émergence de solutions réellement pertinentes ?
L’infrastructure est clef. C’est elle qui permet de déployer facilement des solutions technologiques et qui facilite le « go-to-market ». L’adoption des technologies nécessite également des accompagnements et des compétences spécifiques. Quand un agriculteur déploie une technologie, il faut qu’elle fonctionne tout le temps et partout sur son exploitation. Cela veut dire qu’il faut un réseau stable sur toute la parcelle. Si, à un moment donné, la solution n’est pas fonctionnelle, le bénéfice n’est pas perçu pour l’agriculteur. Ils ont donc besoin de solutions robustes et les entrepreneurs de la tech n’en ont pas toujours conscience. C’est notre travail à La Ferme Digitale de les sensibiliser à ce sujet. Le « chasm » (vallée de la mort dans l’adoption des innovations) est un défi majeur, car il y a un fossé entre les early adopters et la majorité des agriculteurs.
On a parlé d’infrastructure, mais il faut évidemment parler des données… Est-ce là le gros point faible du marché de l’AgTech ?
Les données jouent un rôle crucial dans l’agriculture de précision, mais leur utilisation est encore limitée. Les données agricoles sont souvent fragmentées et peu interopérables, ce qui complexifie leur exploitation. Par exemple, les cartes de rendement générées par les machines agricoles sont rarement utilisées, car les agriculteurs ne voient pas toujours leur utilité. Pour que les données soient pleinement exploitées, il faut qu’elles circulent plus facilement entre les différents acteurs – agriculteurs, fournisseurs, institutions publiques – et qu’elles soient intégrées dans des solutions concrètes et faciles à utiliser.
Que faut-il faire pour répondre à l’enjeu de l’utilisation des données ?
L’avenir des technologies agricoles repose sur une meilleure intégration des données et des solutions interopérables. La massification et la circulation des données sont essentielles pour créer des systèmes agricoles plus efficaces et durables. Il est néanmoins crucial que ces technologies soient développées en étroite collaboration avec les agriculteurs, en partant de leurs besoins réels et en évitant une approche trop théorique ou technosolutionniste. L’objectif est de créer des outils qui s’intègrent naturellement dans les pratiques agricoles existantes et qui apportent une valeur tangible dès le départ.
Quelles sont les grandes tendances dans les start-up AgTech ?
Les solutions basées sur le vivant, c’est-à-dire qui cherchent à se substituer aux produits de synthèse, restent une technologie en pleine croissance. Dans l’IoT, on observe également une croissance des investissements et ce, principalement, dans les environnements contrôlés, sous serre. Ce type d’environnement biomaîtrisé rassure sur la complexité des infrastructures et des réseaux. Les investisseurs cherchent également à financer des projets qui combinent innovation technologique et création de valeur concrète pour les agriculteurs, comme les capteurs météo ou les robots de traite.
Sources :
La French AgriTech – De La Terre à la Table (rapport complet La Ferme Digitale)
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