• Ce boom du marché, qui devrait doubler d’ici six ans pour atteindre près de 1000 milliards de dollars annuels, propulse les entreprises dans une course effrénée aux investissements.
• Elles rencontrent néanmoins des obstacles comme la pénurie de talent et des enjeux géopolitiques qui fragilisent cette industrie florissante.
L’exposition des usages de l’IA générative et l’intérêt pour les entreprises provoquent une émulation inédite dans une industrie des semi-conducteurs qui fait face à de nombreux challenges. Car, en matière d’IA, les acteurs fabriquant les processeurs traditionnels – les CPU (Core Processing Units) – sont dépassés : ce sont les processeurs graphiques, les GPU, qui sont utilisés pour entraîner et faire tourner des modèles d’IA. « La demande va continuer d’augmenter et, déjà, le leader Nvidia livre ses GPU de manière contingentée », explique Carlo Reita, Directeur des alliances de recherche et d’innovation à la direction de la recherche technologique du Le succès de Nvidia est notamment dû à une articulation matériel/logiciel bien huilée, la clef dans la mise en œuvre de calculateurs nouvelle génération. Pour le chercheur l’engouement est dû à une vision centrée sur le cloud , car l’IA générative est trop lourde pour être embarquée : « Les entreprises ont besoin de ces outils pour améliorer leur production et leur offre en exploitant leurs bases de données. Et dans l’industrie 4.0, il y a également un intérêt important pour l’IA. » L’engouement est tel que des acteurs comme Amazon, Google et bien d’autres ont décidé de dessiner leurs propres semiconducteurs dédiés à l’IA.
Quand on parle du marché de l’IA, on parle de construire des usines dont le coût est entre 10 et 20 milliards de dollars
Des besoins financiers pharaoniques
Les annonces du dirigeant d’OpenAI, Sam Altman, ont défrayé la chronique lorsqu’il a indiqué qu’il faudrait 7.000 milliards de dollars pour restructurer l’industrie des semiconducteurs. Estelle Prin, fondatrice de l’Observatoire des semiconducteurs, estime que l’entrepreneur américain « se pose les bonnes questions, car cela correspond à une nécessité industrielle et il fait face à des problèmes que rencontrent tous les GAFAMs et acteurs non civils en matière de semiconducteurs. On parle d’un marché de production qui pesait 527 milliards de dollars en 2023 et qui va passer à 1.000 milliards de dollars par an dans six ans, d’où le besoin de tous les acteurs d’être en mesure d’augmenter leur production. »
L’intelligence artificielle nécessite des lignes de production dédiées et, pour l’heure, c’est l’entreprise taïwanaise TSMC qui produit 90% des puces dédiées à l’entraînement et au fonctionnement de l’IA générative. De son côté, Samsung a décidé de challenger TSMC en proposant des gravures de puces de 2 nm. « Quand on parle du marché de l’IA, on parle de construire les usines de semiconducteurs les plus chères et perfectionnées au monde, dont le coût est entre 10 et 20 milliards de dollars », souligne Estelle Prin. Face au géant taïwanais, Intel a pris la décision radicale de redevenir fondeur, c’est-à-dire de fabriquer ses propres puces, et vise des gravures à 1,4 nm en 2029. La multinationale américaine veut devenir le deuxième fabricant mondial d’ici 2030. Pour Carlo Reita, « Intel peut revenir dans la course ». Pour cela, ses premières usines devront être en fonctionnement en 2027. Enfin, outre les unités de calcul, le développement d’autres composants dédiés à l’IA est bouillonnant, comme les mémoires HBM (high-bandwidth memory) qui décollent grâce au marché des processeurs graphiques (GPU).
Pénurie de talents
Au-delà des besoins du marché, la course au talent définira la réussite des acteurs. « Il y a une réelle pénurie d’ingénieurs et de doctorants quand on parle d’IA, et il y avait déjà une pénurie de talent sur les semiconducteurs traditionnels », note Estelle Prin. Cela pénalise Taïwan, qui voit le nombre d’emplois non pourvus augmenter d’année en année. « Il manque des compétences sur toute la chaîne, déplore Carlo Reita. De l’opérateur salle blanche au concepteur d’application système, il est difficile de recruter et on le ressent au CEA. Le risque est que l’offre ne puisse pas suivre la demande malgré le fait que ce sont les talents européens qui ont les compétences les plus avancées. »
Une course à la souveraineté
En Europe, des acteurs comme le CEA investissent dans des solutions embarquées, dites edge, pour l’IA. A terme, l’exploitation de l’IA sera partagée entre le cloud et l’edge.
A l’international, cette course à l’IA a des implications géopolitiques. Taïwan et la Corée du Sud, les principaux acteurs du marché, sont respectivement menacés par la Chine et la Corée du Nord. C’est notamment pourquoi TSMC construit en Arizona une usine subventionnée par le gouvernement américain. Cela ne résoudra pas la question de l’accès aux matières premières dans un contexte où la Chine contrôle 60% de la production de gallium et 80% de la production de germanium, tous deux essentiels à la conception des puces. En d’autres termes, le marché qui connaît la plus grosse croissance au monde est également l’un des plus vulnérables.