● Dans le monde, près de 3 milliards de personnes sont encore exclues du numérique, ce qui les prive de nombreux droits. Une fracture numérique accentuée par la crise économique de 2008 et la pandémie.
● Le chercheur estime qu’il est du devoir des institutions publiques de garantir l’accès à Internet, tout comme c’est le cas pour l’eau ou l’électricité, et de protéger les citoyens des risques numériques.
Pourquoi pensez-vous qu’il faille inclure l’accès à Internet dans les droits humains ?
Nous devons reconnaître qu’Internet n’est rien d’autre qu’un service de base comme l’eau ou l’électricité, puisqu’il nous permet, par exemple, d’exercer nos droits, ce qui est bien plus important que la possibilité de regarder Netflix ou d’acheter en ligne. En 2007, 22% de la population mondiale avait accès à Internet, contre 66% en 2022. C’est 2,7 milliards de personnes qui sont exclues du numérique et 96% d’entre elles vivent dans des pays émergents. Selon l’Union internationale des télécommunications, 88% de la population mondiale est couverte par la 4G, mais en Afrique subsaharienne, 80% des personnes qui ont accès à ces infrastructures n’ont pas la possibilité d’avoir accès à Internet. Dans une société très numérisée, où les gens sont confrontés à de nouvelles formes d’exclusion sociale et politique parce qu’ils n’ont pas les moyens d’exercer leurs droits, l’accès à Internet est fondamental.
A quels types de droits faites-vous allusion ?
C’est vrai pour la liberté d’expression, qui est un droit politique, ou pour les droits socio-économiques si vous regardez à quel point l’accès à Internet est essentiel pour accéder aux services sociaux ou pour trouver un emploi. Ce n’était pas autant le cas au début des années 2000, mais il y a eu deux événements majeurs : la crise financière de 2008 a poussé les États à chercher à faire des économies et donc à numériser des services et, plus récemment, la crise sanitaire a normalisé de nombreuses procédures et interactions sociales en ligne, ne serait-ce que pour prendre ou réaliser un rendez-vous médical en ligne.
En 2022, 76% des utilisateurs d’Internet vivent dans des pays où des citoyens ont été arrêtés ou emprisonnés pour avoir posté en ligne des contenus.
Quelles conséquences auraient le fait d’intégrer l’accès à Internet dans les droits humains ?
Si certains États ne souhaitent pas ou ne peuvent pas garantir ce type de droits humains, la communauté internationale devra agir pour remédier à la situation, par exemple en mettant en place des soutiens qui pourraient viser au développement d’infrastructures de télécommunications à large bande. Dans certaines zones, ce n’est pas rentable pour des sociétés privées de développer ce type d’infrastructures. Les États, et même dans les pays développés, devront garantir l’accès à Internet au sein de leur territoire. Dans les pays développés et même dans les pays les plus riches du monde, des millions de personnes n’ont toujours pas accès à Internet. En Allemagne et en Grande-Bretagne, des mesures d’urgence ont été prises pendant la pandémie pour permettre aux jeunes d’avoir accès à Internet pour poursuivre leur cursus. Certains pays ont également décidé d’intégrer l’accès à Internet à bas coût dans les minimums sociaux. C’est ce qu’a mis par exemple en place l’administration Biden. Le problème est qu’il y a toujours des personnes à faibles revenus qui ne savent pas qu’ils bénéficient de tels tarifs. Il y a également des opportunités d’organiser des formations pour adultes afin d’aider tout le monde à apprendre à maîtriser les outils numériques. Je pense que toutes ces dimensions doivent être garanties par le droit.
Vous dites qu’en faisant de l’accès à Internet un droit humain, c’est une manière de protéger les citoyens. Pourquoi ?
Aujourd’hui, les États ont l’obligation d’assurer la santé de leurs concitoyens, ou encore doivent garantir que l’environnement ou l’eau ne soient pas pollués. Et n’oublions pas qu’Internet est souvent utilisé pour violer le droit des individus : la technologie est un outil à double tranchant. Elle a, de tout temps, été utilisée de manière négative, si on prend par exemple l’endoctrinement via la radio opéré par le régime nazi. Aujourd’hui, cet usage négatif se traduit par des dérives comme celles démontrées par Edward Snowden ou encore l’usage du logiciel espion Pegasus. Le rapport Freedom of the Net de l’ONG américaine Freedom House a indiqué que, en 2022, 76% des utilisateurs d’Internet vivent dans des pays où des citoyens ont été arrêtés ou emprisonnés pour avoir posté en ligne des contenus sur des sujets politiques, sociaux ou religieux.
Internet est donc utilisé comme un outil de surveillance massive et faire de l’accès à Internet un droit humain permettrait de se préserver de telles dérives. Il est également important, en ce sens, de préserver la neutralité du Net : si Facebook propose de fournir des accès à Internet à partir de satellites privés dans des régions reculées, l’intention est bonne. Mais si la condition est que ses propres services soient disponibles en priorité, c’est inefficace.
Sources :
The socio-economic argument for the human right to internet access (en anglais)