• Des chercheurs mettent au point des solutions destinées à traiter diverses pathologies et améliorer la compréhension du cerveau : le casque Melomind ou l’implant Wimagine® pour les personnes paralysées.
• Ces outils ont la capacité d’influencer les états mentaux. Leur développement soulève des questions éthiques auxquelles il faut réfléchir. La perspective de leur utilisation hors du cadre médical rend particulièrement nécessaire une réglementation.
24,2 Mrds $
Selon un rapport de l’Unesco publié en 2023 intitulé « Unveiling the neurotechnology landscape: scientific advancements innovations and major trends », le marché des appareils de neurotechnologies devrait atteindre 24,2 milliards de dollars en 2027.
Pourquoi observons-nous un regain d’attention envers les neurotechnologies ?
Les neurotechnologies incarnent la rencontre entre l’informatique, les technologies et les , et ce depuis les années 50 avec l’émergence de l’intelligence artificielle (IA). Ce sont des dispositifs entre le cerveau et la machine, connectés pour la plupart à de l’intelligence artificielle et qui permettent d’étudier la structure et le fonctionnement du cerveau. Elles sont développées dans les laboratoires académiques et les entreprises et sont déjà commercialisées. Officiellement, au regard des recommandations de l’OCDE de 2019, de l’UNESCO de 2021 et de la charte nationale française inaugurée en 2022, les neurotechnologies ont plusieurs fonctions : visualiser, décrypter, décoder et moduler le fonctionnement du cerveau.
Les usages des neurotechnologies ouvrent la possibilité de moduler et de surveiller les états mentaux des personnes, afin de réparer en cas de défaillance ou même d’augmenter les capacités cognitives
Concrètement, que permettent les solutions existantes ?
Les avancées dans ces domaines sont très nombreuses, très rapides, internationales, médicales et non médicales, civiles et militaires, et génèrent des très grandes bases de données cérébrales. Elles permettent de traiter des pathologies plus efficacement et rapidement mais également de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau. Il existe déjà des technologies sur le marché pour aider les utilisateurs à réguler leur stress, leur anxiété, leur sommeil, leur concentration, etc. On peut citer le casque Melomind de MyBrainTech qui aide à lutter contre le stress en diffusant de la musique en fonction de l’activité cérébrale captée grâce à des électrodes. D’autres sociétés proposent des casques ou des écouteurs, comme Dreem, pour monitorer le sommeil, ou l’implant Wimagine® de Clinatec-CEA, qui a permis à un patient paraplégique de remarcher.
Pourquoi ce sujet est-il si sensible ?
Le perfectionnement de ces technologies favorise des développements de solutions plus miniaturisées, plus efficaces et plus performantes. Cela accentue la porosité des frontières entre les utilisations médicales et non médicales, civiles et militaires et la diversité des finalités, des usages et des investissements. Les usages des neurotechnologies ouvrent la possibilité de moduler et de surveiller les états mentaux des personnes, afin de réparer en cas de défaillance ou même d’augmenter les capacités cognitives. Les enjeux éthiques découlent de leur capacité à influencer ou manipuler les personnes. En matière de dispositifs médicaux, la réglementation est claire et ils sont contrôlés. C’est quand on sort du cadre médical que des ambiguïtés doivent être levées.
Comment appréhender l’éthique dans un contexte d’accélération technologique ?
Aujourd’hui il est important de considérer les enjeux éthiques en intégrant la convergence des différentes disciplines : on ne peut pas traiter l’IA d’un côté et les neurosciences d’un autre. Il faut faire attention que cette convergence reste au service de l’humain et du bien commun, ce qui pose des questions de transparence et de responsabilités chez tous les acteurs de la chaîne de valeur. Il faut également pouvoir statuer sur ce que sont les données cérébrales (les informations récoltées sur ou dans les cerveaux grâce à des capteurs, NDLR), leur confidentialité, etc., et aborder les enjeux relatifs à ces données quand elles sont combinées avec des données d’identité, voire génétiques, ce qui donne des informations très précises sur l’être humain.
Certains pays comme le Chili sont en avance. Qu’en est-il de l’évolution du droit et de l’émergence de nouveaux droits ?
En 2022, le Chili, par le biais de l’initiative NeuroRight, devient le premier pays au monde à instaurer des « » dans sa Constitution. Le but étant de protéger les cerveaux des Chiliens, tout en leur donnant la possibilité d’être consentants quant à l’utilisation des neurotechnologies. On a désormais quatre nouveaux droits qui émergent : le droit à la liberté cognitive, le droit à la vie privée, le droit à l’intégrité mentale et le droit à la continuité psychologique. En France l’idée d’un neurodroit arrive par la porte de la loi bioéthique de 2021 et la charte des neurotechnologies de 2022, afin de limiter les abus potentiels et d’ancrer l’usage et le développement de ces technologies dans nos valeurs sociétales et humaines.
Au travers de son conseil éthique DataIA, Orange participe depuis plusieurs années à la réflexion sur les technologies d’intelligence artificielle et à l’IA éthique. Dans le cadre des recherches initiées en 2019 avec l’INRIA sur les interfaces cerveau ordinateur, Orange réfléchit à étendre les questionnements éthiques à ce sujet. En effet, la question de la régulation avec les neurodroits devient de plus en plus d’actualité, cf. les polémiques sur les annonces d’implants invasifs de Neuralink. La question des données personnelles dites sensibles intégrant maintenant les ondes cérébrales devient essentielle. L’accès en devient de plus en plus facile et les usages doivent être maîtrisés.
Sources :
- Tabouy, L. (2021). Ce que les neurotechnologies soulèvent comme enjeux éthiques et légaux pour la recherche, les neuroscientifiques, les entreprises et la société. Annales des Mines – Réalités industrielles, 2021, 65-73. https://doi.org/10.3917/rindu1.213.0065
- Blake Hereth; Gerard du Boisboissel; […], Tabouy L, Paul Tubig; David Whetham; Nicholas Greig Evans (2024). Horizon Scan of Emerging Issues at the Intersection of National Security, Artificial Intelligence, and Human Performance Enhancement. Science and Engineering Ethics. In submission 2024.
En savoir plus :
Hands off my brainwaves: Latin America in race for ‘neurorights’ (en anglais)
Les neurosciences regroupent les recherches scientifiques sur le système nerveux, c’est-à-dire le cerveau, la moelle épinière et les nerfs.
Les neurodroits, selon Marcello Ienca, chercheur au Collège des Humanités de l’EPFL sont « les principes éthiques, juridiques, sociaux ou naturels de liberté ou de droit liés au domaine cérébral et mental d’une personne ; c’est-à-dire les règles normatives fondamentales pour la protection et la préservation du cerveau et de l’esprit humain ».