• Les musiciens s’interrogent. Sera-t-il possible de paramétrer finement ces outils aux résultats inédits pour les rendre encore plus convaincants ? Ces produits, mis en concurrence avec des œuvres d’artistes humains, s’imposeront-ils face à elles ?
• Si certains voient en l’IA une menace pour la créativité artistique, d’autres estiment qu’elle pourrait ouvrir de nouveaux usages de la musique dans des domaines comme la publicité, le cinéma et les métavers.
Sur TitkTok ou Instagram, les start-up qui proposent des outils d’IA comme Udio ou Suno pour produire automatiquement de la musique et des chansons ont le vent en poupe : Udio produirait déjà 10 chansons par seconde. « Les résultats sont spectaculaires mais, pour le réglage fin, c’est plus compliqué, car ces systèmes ne savent pas trop comment ils ont obtenu ces résultats », explique François Pachet, l’ancien directeur du Spotify Creator Technology Research Lab et du Sony Computer Science Laboratory. « Sur Udio, on peut aujourd’hui générer des sons comme des orchestrations à corde de très bonne qualité. Cela va changer la donne pour la musique à l’image [publicité, cinéma, etc., NDLR] mais, dans le domaine artistique, ce n’est pas certain. »
Je ne doute pas qu’on va rapidement avoir des générateurs de qualité qui vont répondre à des prompts de la même manière que les musiciens vont répondre à des briefs commerciaux.
L’artiste spécialisé dans l’exploration de l’IA Benoit Carré, aussi connu sous le nom de Skygge, explique : « Ces outils sont pensés sur des modèles économiques qui visent le remplacement des artistes. Ils vont permettre de remplacer toutes les commandes musicales à faible valeur ajoutée et à faible singularité ajoutée et je ne doute pas qu’on va rapidement avoir des générateurs de qualité qui vont répondre à des prompts de la même manière que les musiciens vont répondre à des briefs commerciaux. » Pour lui, l’idée que les artistes doivent avoir peur de perdre réellement leur créativité et leur singularité relève de la désinformation : « Les artistes à qui j’ai parlé voient la partie émergée de l’iceberg. Ceux qui s’intéressent à l’IA comme moi vont chercher des tutos, des liens, et intègrent l’IA dans leur processus créatif à différentes étapes. » Les artistes seraient ainsi davantage affaiblis par les faibles revenus générés par le streaming musical.
Des outils incompétents en composition musicale
L’usage d’outils d’IA s’installe dans la production musicale. En novembre 2023, Paul McCartney annonçait la sortie d’une nouvelle chanson des Beatles, Now and Then, grâce à l’IA : la voix de John Lennon, décédé en 1980, avait été reconstituée à partir d’une cassette audio. « La génération audio à partir de diverses sources et la synthèse de voix chantées fonctionnent très bien aujourd’hui, auxquelles on peut ajouter la séparation de sources pour démixer les morceaux », note François Pachet.
« Les modèles d’IA font du sampling [manipulation d’échantillon sonore], mais pas de la résolution de problèmes. Or les problèmes combinatoires restent difficiles à résoudre, ce qui rend la composition musicale difficile. » Composer des morceaux meilleurs que ce qui a été composé auparavant constitue cependant pour le chercheur le seul problème intéressant. « C’est pareil pour les modèles de langue : ils savent faire plein de choses, mais savoir s’ils vont produire du texte intéressant, c’est une autre question ! »
Outre la complexité du problème mathématique qu’elle pose, la composition musicale avec intelligence artificelle souffre de l’indisponibilité de base d’apprentissage légale. Il n’existe pas d’IA d’aide à la composition musicale en dehors de Flow Machine, un outil conçu entre 2015 et 2017 chez Sony-CSL et à la conception duquel ont participé Benoit Carré et François Pachet, qui précise : « En fait, il n’y a pas d’endroit où l’on peut trouver toutes les partitions des morceaux et on ne peut pas construire ce type de base de données aujourd’hui au regard des règlements votés au Parlement européen.» L’AI Act impose notamment des obligations de transparence pour les systèmes d’IA à finalité générative et donc le respect de la propriété intellectuelle et artistique.
De nouvelles manières d’écouter de la musique
Concernant l’inquiétude d’une baisse du « niveau musical », il plaide pour laisser les utilisateurs s’approprier des outils. « Il est très difficile d’exercer un contrôle a priori sur les contenus. On a cette chance incroyable de donner la possibilité à n’importe qui de faire de la musique. Le prix à payer pour avoir cela est d’avoir beaucoup de contenus de mauvaise qualité. »
Exploitables dans le cinéma et la publicité, les musiques générées par l’IA pourraient aussi, d’après Benoit Carré, être intégrées dans des métavers. « Avec des musiques générées avec Suno, c’est comme si on avait le poster, c’est-à-dire un résultat musical, mais pas le paysage, et donc une œuvre sans âme, sans fond. Cela change notre relation et notre perception avec l’œuvre. » Les auditeurs souhaiteront-ils en connaissance de cause écouter des titres générés par l’IA ? « Je suppose qu’il y aura une nouvelle catégorie musicale et que, parfois, on aura envie d’écouter de la musique générée par l’IA, un peu plate. Il est encore difficile d’imaginer quelle fonction elle pourrait avoir. »
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