Développé par la NASA en coopération avec l’Agence spatiale européenne (ESA) et l’Agence spatiale canadienne (ASC), le télescope spatial James Webb observe l’Univers dans l’infrarouge proche et moyen. Cela lui permet d’examiner des ondes émises à des époques reculées. En effet, l’espace est en expansion, ce qui décale hors du spectre visible, dans l’infrarouge, la lumière qui a voyagé depuis l’époque présumée de la formation des premières étoiles et galaxies, plusieurs centaines de millions d’années après le Big Bang.
Des algorithmes permettent d’appliquer divers traitements pour optimiser les réglages du JWST et corriger les sources de bruit dans l’image brute.
“L’infrarouge permet de ‘voir’ ces objets très lointains. Les ondes sont étirées par l’expansion de l’espace, donc la lumière qui a parcouru des milliards d’années a subi une déformation. Elle sort du spectre visible et passe à côté, dans l’infrarouge”, explique Pierre-Olivier Lagage, astrophysicien au CEA et responsable scientifique pour la France de MIRI (Mid-InfraRed Instrument).
MIRI, un des quatre instruments scientifiques embarqués à bord du JWST, opère dans l’infrarouge moyen en offrant une sensibilité exceptionnelle. Il propose quatre modes d’observation : imagerie, coronographie, spectroscopie à basse résolution et spectroscopie à intégrale de champ à moyenne résolution. La coronographie, comparable au geste d’un individu consistant à interposer sa main devant le soleil auquel il fait face, consiste à occulter la partie centrale d’une étoile afin de rendre visibles des objets orbitant près d’elle. La spectroscopie, elle, consiste à étudier le spectre des rayonnements électromagnétiques émis et absorbés par les corps célestes, chaque élément chimique ayant un profil particulier.
“C’est la première fois que l’on dispose d’instruments aussi complexes dans l’espace”, souligne Pierre-Olivier Lagage.
“Une conception tout à fait nouvelle”
Le JWST représente un saut technologique important par rapport à ses prédécesseurs, les télescopes spatiaux Hubble et Spitzer. Il introduit plusieurs prouesses techniques, à commencer par la capacité de son miroir primaire à se déplier. Celui-ci, d’un diamètre de 6,5 m, est plus léger que le miroir de 2,4 m de Hubble et se déploie après le lancement.
“Mais surtout, sa forme est ajustée dans l’espace grâce à six actionneurs derrière chaque segment hexagonal, affirme Pierre-Olivier Lagage. C’est l’un des aspects les plus révolutionnaires du JWST.”
Autre innovation citée par l’astrophysicien, l’immense bouclier thermique, déployable lui aussi en orbite, maintient de manière passive la température des détecteurs en deçà d’un certain seuil. “Le télescope spatial James Webb a fait l’objet d’une conception tout à fait nouvelle et la NASA a d’ores et déjà annoncé que les futurs télescopes s’inspireront de ce qui a été fait pour cette mission.”
Capturer les meilleures images
Plusieurs types d’algorithmes sont utilisés pour améliorer la “vue” du JWST et la qualité des images finales. Ils permettent d’appliquer divers traitements pour optimiser les réglages du télescope et corriger différentes sources de bruit dans l’image brute.
“Au niveau des détecteurs, on peut, par exemple, réduire le courant d’obscurité [un courant électrique résiduel en l’absence de lumière] et faire une correction de champ plat”, explique Pierre-Olivier Lagage. Ce processus (“flat-field correction”, en anglais) permet de corriger les variations de réponse des différents pixels du télescope à la même source de lumière. L’objectif est de produire une image uniforme.
Divers algorithmes d’astrométrie (relatifs au positionnement des étoiles et autres objets célestes) permettent aussi de localiser avec précision des sources de rayonnement. D’autres logiciels aident à augmenter la précision de pointage et la stabilité du télescope. “Le problème ne se pose pas avec le JWST, car il est très stable. Nous avons dépassé les spécifications concernant cet aspect”, se félicite Pierre-Olivier Lagage.
Le chercheur cite également les logiciels de calibration, qui permettent d’optimiser les réglages d’observation pour récupérer les meilleures données.
Des logiciels spécialisés peuvent ensuite être utilisés en fonction des programmes scientifiques. Souvent développés de manière “ad hoc”, ils mettent en œuvre une multitude de techniques d’analyse statistique et produisent des chaînes de traitement plus ou moins complexes.
L’étude des exoplanètes en transit, domaine de recherche de Pierre-Olivier Lagage, en fournit un exemple. La méthode du transit consiste à associer la baisse de luminosité régulière d’une étoile à une exoplanète effectuant une révolution autour de l’astre. “Les variations de luminosité mesurées par la méthode du transit sont minimes et il y a beaucoup de bruit systématique. Nous utilisons donc des logiciels spécifiques de ‘detrending’ pour enlever des tendances pouvant être causées par diverses sources de bruit et dérives instrumentales”, explique l’astrophysicien.
L’IA et le “big data spatial”
L’augmentation du volume et de la complexité des données astronomiques nécessite de développer de nouveaux outils permettant d’exploiter des images de l’espace toujours plus riches en détails. L’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique commencent à être utilisés, notamment pour combiner des images provenant de différentes sources ou pour détecter et classifier des phénomènes d’intérêt.
À l’exemple du JWST, les télescopes embarquent désormais plusieurs instruments d’imagerie et de spectroscopie couvrant différentes régions du spectre électromagnétique. Cela leur permet de fournir des images multispectrales et hyperspectrales (c’est-à-dire capturées dans un nombre plus ou moins grand de bandes spectrales) d’une scène, chaque type d’image apportant une information spécifique. Des algorithmes, utilisant des réseaux neuronaux ou d’autres techniques similaires, peuvent aider à fusionner ces images pour construire une image spatiospectrale de qualité, combinant haute résolution et spectres détaillés.
L’identification d’objets faibles dans des milliers d’images astronomiques est une tâche extrêmement complexe et chronophage. Là encore, de puissants algorithmes d’IA peuvent aider les astronomes à détecter et classifier des phénomènes d’intérêt, au moyen de techniques de vision par ordinateur, par exemple. C’est la mission de Morpheus, algorithme d’apprentissage profond capable d’analyser des images astronomiques pixel par pixel pour repérer et classifier des galaxies en se basant sur des critères morphologiques. Initialement entraîné à partir de milliers d’images de galaxies capturées par Hubble, Morpheus est employé dans le cadre de l’ambitieux programme COSMOS-Webb, qui vise à cartographier une partie du cosmos avec les caméras NIRCam et MIRI du JWST. Il doit aider les chercheurs à “fouiller” cette vaste région de l’Univers à la recherche des galaxies les plus anciennes.
Grâce à d’importants progrès dans le domaine des instruments et une conception inédite, le JWST est ainsi le seul à voir ce qu’il voit, avec une sensibilité jamais atteinte. L’IA, encore au stade embryonnaire dans le domaine de l’astronomie, pourrait devenir un puissant outil pour tirer pleinement parti de ses capacités exceptionnelles et nous aider à mieux comprendre les processus à l’œuvre dans l’espace.