“L’association entre la réduction de la mobilité et les facteurs socio-économiques rappelle leur rôle dans la progression inégale de l’épidémie”
La pandémie COVID-19 a confronté le monde à des défis sans précédent, appelant les pays à prendre des mesures urgentes et résolues pour mieux faire face à la crise sanitaire. Parmi ces dernières, en l’absence d’un vaccin largement disponible et/ou d’un traitement efficace, les restrictions de la mobilité sont les mesures de dernier recours pour lutter contre la propagation spatiale des maladies infectieuses. En effet, les déplacements de population offrent des opportunités de contacts par lesquels les maladies peuvent se propager. Les couper réduit cette diffusion.
Tout au long des phases successives de l’épidémie, les autorités françaises ont mis en place plusieurs politiques pour réduire les contacts sociaux afin de contenir l’épidémie et soulager la pression sur le système de santé [1]. Il s’agit de politiques plus ou moins restrictives comme les fermetures des services non essentiels, le télétravail, le couvre-feu ou, pendant les phases de plus forte accélération, le confinement à l’échelle nationale.
L’évaluation de l’impact de ces mesures sur les déplacements de population est cruciale pour aider à identifier les modifications des dynamiques comportementales et sociétales ayant accompagné la diffusion virale, qui façonnent mais aussi limitent l’étendue des restrictions.
Les indicateurs des flux de déplacements de population fournis par Flux Vision (Orange Business Services) [2] ont été mobilisés pour étudier les changements de la mobilité des Français en réponse à la situation épidémiologique et aux interventions imposées par le gouvernement français, à l’échelle locale et nationale [3],[4],[5].
De cette analyse il ressort que des changements dans la mobilité sont apparus avant même la mise en place des mesures. Lors du premier confinement (17 mars – 10 mai 2020), une baisse de la mobilité s’est étalée sur près d’une semaine, anticipant son entrée en vigueur Figure 1. Les individus ont commencé à réduire spontanément leur mobilité face au risque de contamination. Parallèlement, pour alléger les contraintes du confinement, liées par exemple à l’occupation des logements ou à l’isolement, l’exode des grandes agglomérations a entraîné une augmentation des flux de mobilité sortants de certaines régions (par exemple, Île-de-France) et entrants dans d’autres (par exemple, Bretagne, Normandie) Figure 2.
Aucune augmentation de la circulation virale n’est alors devenue visible dans les régions réceptrices au cours des semaines suivantes, car le confinement a fortement endigué l’activité épidémique dans toutes les régions.
Dans l’ensemble, les déplacements ont été réduits d’environ 65%. Cette réduction s’explique par de fortes baisses de la mobilité liée au travail ou à la scolarité, surtout aux heures de pointe, ainsi que le weekend et pour les longs trajets. Particulièrement pour Paris, avant le premier confinement 95% des flux sortants concernaient des destinations dans un rayon de 200 km du centre-ville (environ la distance entre Paris et Lille), tandis que pendant le confinement, 95% de ces flux sortants visaient des destinations dans un rayon de 29 km (environ la distance du cœur de Paris à Disneyland) Figure 3.
Ces baisses de mobilité ont été inégalement réparties entre les régions Figure 4. La réduction du trafic intra-régional est supérieure à la moyenne pour les 4 régions d’Île-de-France, d’Auvergne-Rhône-Alpes, du Grand Est, et de Provence-Alpes-Côte d’Azur, alors qu’elle est nettement inférieure à la moyenne en Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire et Normandie. Des variations similaires ont été constatées pour les flux de mouvement sortants.
Afin de comprendre les différences constatées entre régions alors même que le confinement a été déployé de manière uniforme sur tout le territoire, ces réductions de mobilité ont été corrélées à des facteurs démographiques et économiques ainsi qu’à la charge épidémique. Les plus fortes baisses s’affichent pour les régions comptant les plus grandes proportions de population active Figure 5a, et en particulier dans des secteurs d’activité directement touchés par le confinement à cause de leur arrêt total ou partiel (par exemple, le tourisme, le divertissement, la restauration et la construction), ou avec un fort taux de télétravailleurs Figure 4b. La réduction de mobilité est modérément associée aux niveaux de richesse des personnes les plus aisées. Ces derniers occupant les emplois les mieux rémunérés et pouvant le plus souvent être assurés en télétravail ce qui est moins le cas pour les emplois à plus faible salaire et souvent en ‘premier ligne’ Figure 5c. Egalement, les populations des régions où le poids de la COVID-19 sur le système hospitalier est le plus lourd ont diminué leurs déplacements de manière plus drastique que celles vivant dans des régions moins touchées. A chaque tranche de 10 hospitalisations supplémentaires (pour 100 000 habitants) est associée une baisse de 1% de la mobilité régionale Figure 5d.
Un deuxième confinement généralisé a été acté du 30 octobre au 13 décembre 2020. Ce confinement a été plus souple avec le maintien ouvert des écoles et d’un plus grand nombre de secteurs d’activité. Cela a donc conduit à des réductions de mobilité beaucoup plus faibles que lors du premier confinement. Ici, globalement, la mobilité est inférieure au niveau pré-pandémique d’environ 32%, avec néanmoins des réductions modestes pendant les heures de pointe du matin Figure 6a.
L’analyse à une échelle plus fine montre que les réductions supérieures à la moyenne se concentrent en région parisienne et à proximité des zones montagneuses Figure 6b et visent plus fortement les longs trajets [4].
La variation régionale mesurée pendant ce deuxième confinement est plus hétérogène que celle constatée lors du premier [4]. Un effet qui s’explique entre autres par un écart dans l’étendu des restrictions appliquées aux secteurs d’activité.
L’association entre la réduction de la mobilité et les indicateurs socio-économiques, confirmée aussi pour ce deuxième confinement [4], [6], rappelle leur rôle dans la progression inégale de l’épidémie, et donc la pertinence à tenir compte de ces dimensions dans la gestion de la crise sanitaire. Les mesures de restrictions qui se sont succédées ces derniers mois semblent aller de plus en plus dans cette direction, avec des stratégies plus territorialisées et adaptées à leur propre dynamique.
[1] Info Coronavirus COVID-19 – Les actions du Gouvernement. http://www.gouvernement.fr/info-coronavirus/les-actions-du-gouvernement (accessed Mar. 2021).
[2] Flux Vision, Orange Business Services. https://www.orange-business.com/fr/produits/flux-vision (accessed Feb. 2021).
[3] G. Pullano, E. Valdano, N. Scarpa, S. Rubrichi, and V. Colizza, Evaluating the effect of demographic factors, socioeconomic factors, and risk aversion on mobility during the COVID-19 epidemic in France under lockdown: a population-based study, The Lancet Digital Health, vol. 2, no. 12, pp. e638–e649, Dec. 2020, doi: 10.1016/S2589-7500(20)30243-0.
[4] E. Valdano, J. Lee, S. Rubrichi, and V. Colizza, Mobility during the first week of the second lockdown in France, Epicx-lab Report, 2020, https://www.epicx-lab.com/uploads/9/6/9/4/9694133/inserm_covid-19-lockdown2-mobility_20201112.pdf.
[5] E. Valdano, J. Lee, S. Rubrichi, and V. Colizza, Mobility during the first two full weeks of the second lockdown in France, Epicx-lab Report, 2020, http://www.epicx-lab.com/uploads/9/6/9/4/9694133/inserm_covid-19-lockdown2-mobility_20201118.pdf.
[6] E. Valdano, J. Lee, S. Bansal, S. Rubrichi, and V. Colizza, Highlighting socio-economic constraints on mobility reductions during COVID-19 restrictions in France can inform effective and equitable pandemic response, Journal of Travel Medicine – in press.