• Un modèle en quatre scénarios permet aux entreprises de mieux comprendre les dynamiques du marché et de choisir le bon moment pour lancer un produit.
• Les IA généralistes (à ne pas confondre avec l’IA générale), comme ChatGPT, permettent un déploiement flexible, tandis que les IA spécialisées, notamment dans la santé, exigent une préparation plus stricte et un timing précis pour éviter tout rejet du marché.
Comment savoir quel est le bon moment pour lancer une technologie ?
Ela Veresiu : Nos recherches nous ont permis de créer un modèle pour simplifier la compréhension des situations de lancement. Nous avons identifié quatre scénarios distincts. Le premier, c’est le « timing antagoniste », où le moment du lancement n’est pas légitime à cause d’une faible coordination interne à l’entreprise et d’une faible volonté de changement des parties prenantes. Prenons l’exemple des Google Glass. Un autre type est le « timing synergétique », qui, au contraire, s’appuie sur une forte coordination de l’entreprise et une volonté de changement accrue. C’est le cas des lunettes Meta et Ray-Ban qui elles rencontrent aujourd’hui un vrai succès.
Peut-on laisser les parties prenantes dicter le bon moment pour lancer une innovation ?
Ela Veresiu : Oui, c’est ce que nous appelons le « timing flexible ». Dans ce cas, ce sont les parties prenantes qui déterminent le moment légitime du lancement, à cause d’une faible coordination de l’entreprise, mais d’une forte volonté de changement externe. Un bon exemple est celui de Google Bard, maintenant appelé Gemini. Enfin, il y a le « timing inflexible » : ici, l’entreprise met en place un haut degré de coordination interne, mais les parties prenantes ne sont pas prêtes pour cette innovation. C’est le cas des Google Fitbit 6 avec leurs fonctions d’IA santé spécifiques.
Pour les IA spécialisées, comme celles dans le domaine de la santé, le timing est bien plus rigide. Les entreprises doivent établir des règles strictes avant le lancement pour limiter les risques.
Quels sont les enjeux des différentes approches IA ?
Ela Veresiu : Notre modèle différencie les IA généralistes, comme ChatGPT et Gemini, des IA spécialisées. Les IA généralistes suivent souvent un timing flexible, ce qui permet aux entreprises de proposer des démos et de laisser le temps aux utilisateurs de s’adapter. Cependant, pour les IA spécialisées, comme celles dans le domaine de la santé, le timing est bien plus rigide. Les entreprises doivent établir des règles strictes avant le lancement pour limiter les risques. Le processus doit être beaucoup plus encadré et structuré.
Pourquoi est-il risqué de forcer un lancement avant que la technologie ne soit prête ?
Thomas Derek Robinson : Dans certains cas, les entreprises choisissent de lancer un produit avant que la technologie ne soit pleinement au point. L’idée est d’explorer si le marché est prêt et comment il réagit à ces innovations. Les consommateurs se posent des questions cruciales : que cela signifie-t-il pour leur avenir, leur santé ou leur vie privée ? C’est un pari risqué mais, dans un contexte de fragmentation des marchés, les réponses peuvent varier d’une région à une autre.
Attendre peut être la meilleure stratégie…
Thomas Derek Robinson : Lancer une technologie au mauvais moment peut condamner une innovation pourtant prometteuse. Il est essentiel de respecter une certaine séquence pour conserver sa crédibilité et son leadership. Ce n’est pas simplement une question de brevet ou de technologie : il s’agit d’attendre que les conditions soient réunies. Les leaders technologiques doivent s’adapter et anticiper les changements pour éviter de perdre leur place sur le marché au profit d’un concurrent qui aurait mieux ajusté son timing.
Allons-nous vers une fragmentation des marchés technologiques ?
Thomas Derek Robinson : Je pense que nous sommes en train de passer de la mondialisation à une régionalisation. De plus en plus de barrières émergent, créant des Internets différents selon les régions. Cela complexifie le développement technologique, car chaque région a des attentes distinctes. Prenons l’exemple des robots : au Royaume-Uni, ils imaginent des robots majordomes, alors qu’au Danemark, les robots sont envisagés pour le bien-être et le soin à la personne.
Sources :
Robinson, T. & Veresiu, E. (2024). Timing Legitimacy: Identifying the Optimal Moment to Launch Technology in the Market. Journal of Marketing, doi:10.1177/0022242924128040