• Une équipe de recherche interdisciplinaire estime cruciale une démarche éthique dès les débuts de cette technologie pour anticiper les impacts sociétaux et réguler les innovations futures, d’autant que les biorobots soulèvent des questions sur le contrôle d’organismes vivants.
• Une gouvernance interdisciplinaire est nécessaire pour réguler cette technologie. Les chercheurs proposent d’investiguer trois types de questions éthiques : l’interactivité avec les humains, l’intégrabilité des robots dans les êtres humains (prothèses, etc.), et le statut moral des biorobots.
Quelles sont, selon vous, les futures applications de la robotique biohybride ?
Rafael Mestre. Il y aura certainement des applications industrielles de la robotique biohybride et on peut également penser à d’autres cas d’usage comme le nettoyage des océans, avec des robots capables de s’alimenter grâce aux nutriments présents dans les océans, ou encore l’amélioration de l’être humain via la création de prothèses biohybrides. Un aspect plus futuriste est celui de la création de robots humanoïdes, à savoir des robots compagnons composés en partie de cellules vivantes. Il est donc important, dès à présent, de se poser la question de savoir comment nous allons appréhender et réguler ce type d’innovation. Quand on travaille sur ce type de technologie, il n’y a pas encore d’éléments qui permettent de savoir ce qu’elles vont devenir et ce que l’on pourra en faire. Il faut donc anticiper et échanger avec les scientifiques du domaine pour appréhender les différents scénarios possibles et la manière d’approcher ce sujet éthiquement.
On a besoin d’une feuille de route pour minimiser les risques possibles
Nous n’en sommes qu’aux prémices des biorobots. Pourquoi vouloir parler d’éthique dès à présent ?
Anibal Monasterio-Astobiza. Notre travail a supposé d’examiner les différentes théories de l’éthique et de les appliquer aux scénarios possibles. La robotique biohybride pourra être utilisée par la médecine, pour la distribution de médicaments dans le corps ou encore dans la lutte contre le changement climatique et nous ne pouvons pas donner de réponse sur ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Ce que l’on peut fournir, c’est une feuille de route pour minimiser les risques possibles. C’est un champ qui concerne de nombreux acteurs : nous avons besoin des biologistes, des créateurs de technologies, des chercheurs en IA, etc., afin de fournir les éléments nécessaires pour comprendre comment créer une technologie qui sert le bien commun dans le sens politique et philosophique. L’objectif est de fournir une boussole éthique aux chercheurs. La difficulté aujourd’hui est que ce champ est interdisciplinaire et qu’il est nécessaire de créer des instances de gouvernance capables de rassembler les différentes disciplines.
Une autre approche de la robotique biohybride suppose l’utilisation d’animaux…
Rafael Mestre. Il y a différentes approches dans la robotique biohybride bien qu’il n’existe pas de réelle taxonomie : l’approche « bottom up » dans laquelle les cellules sont cultivées en laboratoire à partir de cellules souches et l’approche « top down » qui suppose de prendre des organismes directement chez les animaux, auxquels on ajoute des éléments artificiels. C’est commun dans les nanotechnologies ou en ingénierie tissulaire, par exemple quand on ajoute des contrôleurs pour orienter le mouvement des cafards, les piloter à distance ou leur ajouter de nouvelles fonctionnalités. Cela interroge sur la question de contrôler des éléments vivants qui sont le fruit de millions d’années d’évolution. Et il est évident qu’il y a différentes sensibilités culturelles au regard des droits des animaux. Il faut aussi que les chercheurs s’interrogent sur la nécessité de certaines expérimentations : est-ce que cela vaut le coup de construire un mini-robot à partir des cellules prélevées sur un rat ? Il faut de très bonnes raisons de le faire, d’où la nécessité d’une concertation avec le public, les pouvoirs politiques et les instances de régulation.
Vous indiquez dans vos recherches avoir catégorisé les questions éthiques en trois catégories. Lesquelles ?
Anibal Monasterio-Astobiza. Les chercheurs sont impliqués donc, par définition, ils sont biaisés. Nous devons comprendre et hiérarchiser les valeurs éthiques concernant l’utilisation des biorobots afin d’atténuer les risques éventuels. En réponse à cela, nous proposons une structure de gouvernance qui facilite la régulation et le contrôle démocratiques de cette nouvelle technologie. Nous avons classé les questions éthiques en trois catégories :
- l’interactivité à savoir l’interaction entre les biorobots, les humains et l’environnement ;
- l’intégrabilité qui est l’assimilation des biorobots aux êtres humains, par exemple, dans le cas des organes in vivo ;
- le statut ontologique et moral des biorobots, afin de comprendre les implications éthiques si les biorobots acquièrent un statut moral, comme le développement d’une conscience.
Sources :
Ethics and responsibility in biohybrid robotics research (en anglais)
En savoir plus :
Interdisciplinary Team Calls for Ethical Governance of Bio-Hybrid Robotics (en anglais)