Demain, une blockchain pourrait gérer le versement de l’aide financière à un bénéficiaire de la Sécurité sociale. Elle pourrait faire des vérifications croisées auprès d’une blockchain qui gère les identités numériques et d’une autre qui contient des informations permettant de confirmer l’éligibilité de la personne à l’aide. Cela permettrait de réduire les risques de fraude et d’automatiser un processus auparavant long pour l’administré et coûteux pour l’administration.
La promesse de la blockchain est de créer un environnement de confiance et d’alléger les fameuses ‘lourdeurs administratives’.
Voici le futur imaginé par plusieurs États à travers le monde, qui explorent depuis quelques années le potentiel des technologies blockchain pour le secteur public. Formant des communautés de pratique, sectorielles ou intersectorielles, et des partenariats public-privé, ils sont de plus en plus nombreux à mettre en œuvre une variété d’applications autour de l’identité, de la certification de documents, etc. En Europe, l’Infrastructure européenne de services blockchain (ou EBSI, pour European Blockchain Services Infrastructure) constitue un exemple concret d’une blockchain pilotée par le secteur public.
Confiance, fluidité et réduction des coûts
La réussite de la digitalisation des services publics nécessite de relever un certain nombre de défis liés à la confiance, à la transparence ou à l’efficacité. Par exemple, l’adoption d’une plateforme numérique par l’ensemble des usagers exige de dissiper les craintes de ces derniers quant à la sécurité et à la confidentialité de leurs données personnelles.
Grâce à ses caractéristiques uniques (immutabilité, consensus, irrévocabilité et traçabilité), la blockchain peut contribuer à relever ces défis. La promesse est de créer un environnement de confiance et de fluidifier certains processus, allégeant ainsi les fameuses “lourdeurs administratives”.
De manière concrète, la blockchain offre une infrastructure décentralisée sur laquelle des transactions (l’échange d’actifs numériques – un dossier, par exemple – et leurs changements de statut ou d’état) pourront être effectuées entre différentes administrations, entre administrations et citoyens, et entre citoyens (lorsqu’elles incluent un élément relevant du service public).
Dans ce contexte, cette technologie apporte deux avantages par rapport aux bases de données centralisées traditionnelles, décrits par l’université de Lille dans son livre blanc consacré à ce sujet. D’une part, elle garantit l’intégrité et la traçabilité des données en temps réel, pour une collaboration transparente entre les utilisateurs, sans recourir à un tiers de confiance extérieur. D’autre part, elle permet l’auto-exécution de “contrats intelligents” pour automatiser et sécuriser des processus, avec à la clé des gains en termes d’efficacité et de qualité.
“Dans le cas des services publics, cela signifie par exemple que la blockchain peut faciliter la vérification des documents officiels sans qu’il soit nécessaire de contacter à chaque fois leur entité émettrice”, expliquent les auteurs du livre blanc.
Les bénéfices potentiels liés à l’utilisation d’une blockchain sont nombreux. Ils vont de la réduction du coût et des délais de vérification des documents à la réduction des risques de fraude, en passant par la possibilité, pour les fonctionnaires, de visualiser l’évolution d’un document.
Infrastructure blockchain clé en main
Consciente de ces bénéfices, l’Europe a lancé en 2018 le Partenariat européen Blockchain (EBP, European Blockchain Partnership), initiative conjointe de la Commission européenne, des 27 États membres de l’Union européenne (UE), de la Norvège et du Liechtenstein. L’objectif : exploiter le potentiel des technologies blockchain pour améliorer et innover en matière de services publics nationaux et transnationaux dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la lutte antifraude, etc.
Cette initiative a donné lieu à la création de l’Infrastructure européenne de services blockchain, qui doit offrir aux États “un environnement et une infrastructure clé en main, permettant un haut niveau de collaboration et une gouvernance inédite afin d’améliorer et d’innover en matière de services publics nationaux et transnationaux”.
L’EBSI est un réseau de nœuds blockchain distribués à travers toute l’Europe et hébergés par des opérateurs approuvés par l’EBP, proposant aux administrations publiques, aux entreprises et aux citoyens des services publics transfrontaliers. Constituée de différentes couches (infrastructure, services de base tels que l’horodatage et la signature électronique, et cas d’usage), elle intègre plusieurs briques technologiques “à la carte” que les administrations peuvent déployer pour mener leur propre stratégie de transformation digitale.
Ces briques technologiques, déjà disponibles et éprouvées, doivent soutenir un certain nombre de cas d’usage sélectionnés par les États membres du partenariat.
“Facile à vérifier, impossible à falsifier”
En effet, l’EBSI s’appuie sur un petit nombre d’applications spécifiques, amené à grandir au fil du temps. Ces applications sont regroupées au sein de trois grandes familles de cas d’utilisation, domaines thématiques dans lesquels les technologies blockchain peuvent contribuer à répondre à un certain nombre de problématiques.
Il s’agit des attestations vérifiables (visant à “rendre les informations faciles à vérifier, mais impossibles à falsifier”), du suivi et de la traçabilité (“track and trace”), et enfin de l’échange de données fiable. Pour le moment, seul le premier domaine a été défini par l’EBP.
Au sein de ces familles, on retrouve plusieurs applications poursuivant chacune des objectifs spécifiques :
- Identité autosouveraine : permettre aux utilisateurs de créer et de contrôler leur propre identité au-delà des frontières sans compter sur les autorités centralisées, avec un pont vers la technologie mise en place par le règlement eIDAS.
- Diplômes : rendre le contrôle aux citoyens lorsqu’ils gèrent leurs diplômes d’études, en réduisant considérablement les coûts de vérification et en améliorant la confiance en matière d’authenticité.
- Notarisation : créer des pistes d’audit numérique fiables (une piste d’audit permet de retracer toutes les étapes d’un processus de facturation), automatiser certains contrôles de conformité et prouver l’intégrité des données.
- Partage de données sécurisé : partager en toute sécurité les données entre les autorités de l’UE (en commençant par les numéros d’identification TVA IOSS).
- Demandes de droit d’asile : faciliter la gestion des procédures de demande d’asile transfrontalières et “transautorisées”.
- Numéro de Sécurité sociale européen : faciliter l’accès transfrontalier aux services sociaux.
- Financement des PME/ETI
Dans un document de travail publié en 2018, l’OCDE identifiait aussi un certain nombre de cas d’usage intéressants tels que l’enregistrement des titres fonciers, la gestion des droits de propriété intellectuelle, ou encore la gestion des contrats de délégation de service public, avec un gain de transparence dans les dépenses publiques.
Focus :
Comment l’EBSI permet-elle de créer un environnement de confiance pour les administrations et les citoyens ?
L’université de Lille explique : “Contrairement à d’autres réseaux blockchain comme Bitcoin ou Tezos où la confiance dans la bonne exécution des transactions réside exclusivement dans les algorithmes de consensus/validation, la blockchain EBSI intègre un algorithme de validation beaucoup plus régalien dans tous les sens du terme : la preuve d’autorité (Proof-of-Authority).” Pour les auteurs du livre blanc, cette notion de preuve d’autorité est fondamentale, car elle confère à l’État et à ses différentes incarnations le droit de devenir nœuds validateurs de données et d’écrire sur le registre de manière immuable et irrévocable des transactions.