Le débit d’un réseau, qui intéresse beaucoup le grand public, est un paramètre de sa performance parmi d’autres. La , notamment, joue un rôle essentiel à la qualité d’expériences numériques quotidiennes. Une latence trop haute occasionne des phénomènes de lag dans les jeux vidéo en ligne. Une latence faible peut se révéler critique au bon fonctionnement de certaines applications professionnelles émergentes ou futures comme le métavers industriel et la robotique cloud. Comment mettre en place des réseaux capables de délivrer une latence basse de façon maitrisée, stable et sécurisée ?
Une architecture dédiée pour améliorer la latence
La réponse se nomme L4S, pour Low Latency, Low Loss & Scalable Throughput. Standardisée au sein de l’IETF pour les réseaux internet, cette architecture vise une optimisation de la latence pour les applications sensibles. Cette technologie est issue à l’origine d’un partenariat entre Microsoft et l’université de Stanford pour traiter les problèmes de congestion dans les centres de données – L4S étant sa déclinaison pour l’Internet.
Avec L4S, les réseaux affinent leur capacité de réaction, gagnent en robustesse dans la gestion des files et des débits, et peuvent assurer un service basse latence
Elle se fonde sur une méthode de , appliquée à deux files simultanément. « Dans ce modèle, il s’agit de couvrir deux files d’attente couplées entre elles, avec deux traitements spécifiques, l’un pour le trafic basse latence et l’autre pour le trafic classique », détaillent Stéphane Tuffin et Joël Ky, Ingénieurs R&D Orange. « Le couplage permet de déployer deux stratégies de gestion de latence tout en étant équitable au niveau du partage du débit. Grâce à un marqueur placé dans l’en-tête des paquets et renseignant sur le taux de remplissage des files, les applications peuvent adapter finement leur utilisation, et le réseau contribue à répartir les débits équitablement. Il est question de partage équitable du débit plus que de priorisation, mais la faible latence est toutefois maitrisée pour les flux déclarés et identifiés comme requérant celles-ci. »
Expérimenter des implémentations concrètes
Ce faisant, les réseaux affinent leur capacité de réaction, gagnent en robustesse dans la gestion des files et des débits, et se prémunissent contre les phénomènes de congestion menant à des pertes de paquets.
Entre le principe servant de base à la conception de la technologie et la réalité observée lors de son implémentation, il y a cependant un pas que le projet de recherche MOSAICO s’est chargé de franchir. Financé par l’ANR, MOSAICO a été lancé fin 2019, alors que L4S en était à ses prémices, et regroupe plusieurs partenaires académiques et industriels – Orange, en tant que coordinateur, le LORIA, Montimage et l’Université de Technologie de Troyes (UTT). Ses apports se matérialisent pour l’essentiel sur deux aspects : « Par rapport à la réflexion initiale des concepteurs de L4S, nous avons voulu étudier le fonctionnement et les performances de la solution sur des réseaux non-filaires d’une part, et sur des applications caractéristiques et parmi les plus exigeantes en matière de basse latence d’autre part, à savoir le cloud gaming et la vidéoconférence. »
La nécessité d’un monitoring perfectionné
Deux enseignements majeurs découlent du projet.
- La performance, promise en théorie à moins d’1 milliseconde de délai de queueing (file d’attente) pour 99% des paquets, se rapproche en réalité de moins de 10 millisecondes pour 95% des paquets. Atteindre le plus haut niveau d’efficacité nécessite d’affiner encore la conception, la configuration et d’expérimenter l’intelligence artificielle dans l’algorithme de gestion des files d’attente.
- Garantir le service basse latence a un impact non négligeable sur la supervision des réseaux. «A ce jour, la supervision de la latence dans les réseaux est un non-sujet, hormis quelques techniques statistiques sur le long cours, alors que la latence se produit sur des périodes très courtes, avec des perturbations qui peuvent durer dans le temps. Il faut des solutions plus précises et dynamiques pour mesurer les délais subis paquet par paquet. Pour cela, nous avons employé une méthode de télémétrie dans la bande afin d’enregistrer des informations sur la performance des paquets où et quand ils sont écoulés par le réseau, qui sont ensuite récupérées par des sondes. » De tels outils de supervision sophistiqués sont indispensables, en particulier pour des applications professionnelles.
Des déploiements qui avancent dans le monde applicatif
La technologie doit encore franchir des étapes jusqu’à exprimer son plein potentiel. Ses bénéfices et sa valeur ajoutée sont d’ores et déjà perceptibles. Ces derniers mois, l’écosystème L4S ne cesse d’ailleurs de gagner en popularité et en amplitude, en particulier dans le domaine des applications. Apple a implémenté le standard depuis la version iOS 17, Google également via son algorithme de contrôle de congestion BBRv2, et NVIDIA l’a introduit dans son service de cloud gaming GeForce Now, ainsi que dans sa solution CloudXR. Dans les réseaux, L4S demeure à l’état expérimental en grande partie. La Wireless Broadband Alliance a lancé un groupe de travail pour étudier le support du L4S dans les points d’accès Wi-Fi. A suivre…
La latence désigne le délai nécessaire à la transmission aller-retour d’un paquet de données entre un client et un serveur.
gestion active de file d’attente (Active Queue Management, AQM)
La gestion active de file d’attente regroupe plusieurs mécanismes destinés à traiter les points de congestion dans les réseaux IP.