Introduction
Nous sommes actuellement dans la quatrième révolution industrielle, où les innovations numériques jouent un rôle central en influençant tous les aspects de notre vie quotidienne (Schwab, 2016)[1]. Les pays européens, ainsi que d’autres nations développées, accélèrent rapidement leur transformation numérique en impliquant activement tous les acteurs clés de l’écosystème d’innovation (OECD, 2020)[2]. Le résultat est une adoption massive des technologies émergentes telles que l’Internet des objets (IoT), l’intelligence artificielle (IA), le cloud computing, les plateformes numériques innovantes et le big data (Brynjolfsson & McAfee, 2014)[3].
En revanche, le rythme de cette transformation sur le continent africain reste nettement plus lent comparé à celui de l’Europe (UNCTAD, 2021)[4]. Il est donc urgent que l’Afrique prenne des mesures concrètes et réfléchisse en profondeur à sa propre stratégie d’innovation numérique (World Bank, 2019)[5]. La vitesse actuelle du progrès économique et social crée un fossé, laissant une partie importante de la jeunesse africaine, qui ne cesse de croître, sans la possibilité de réaliser ses rêves (African Development Bank, 2020)[6].
Cependant, les technologies numériques offrent une opportunité unique de changer cette donne. Elles permettent de redéfinir les trajectoires de croissance, d’ouvrir des voies alternatives pour stimuler l’économie, favoriser l’innovation, créer des emplois et améliorer l’accès aux services essentiels — des avancées qui auraient été inimaginables il y a seulement une décennie (McKinsey Global Institute, 2017)[7].
C’est dans ce contexte que le projet HUBiquitous, financé par la Commission Européenne dans le cadre du programme Horizon 2020, a été lancé en 2021. Ce projet, qui s’est terminé en septembre 2024, et auquel Orange a activement participé s’inscrit dans une démarche de transformation numérique en Afrique au niveau local, et met l’accent sur l’innovation centrée sur l’humain et sur le renforcement des capacités technologiques telles que l’Internet des Objets, le Big Data ou l’Intelligence Artificielle.
Pour atteindre cet objectif, les 9 partenaires du projet de recherche HUBiquitous ont concentré leurs activités sur les hubs d’innovation digitale. En effet, en 2024, 1.031 hubs d’innovation digitale ont été recensés à travers le continent africain, contre seulement 10 en 2010[8]. Parmi les services proposés par ces hubs, la formation occupe la première place, suivie par l’organisation d’événements tels que des hackathons et des boot camps, ainsi que l’accès à une infrastructure digitale, à la connectivité et au mentorat.

Le projet HUBiquitous a développé deux services indispensables visant à renforcer les capacités locales et à favoriser l’innovation.
Focus sur le rôle essentiel des hubs d’innovation digitale en Afrique
Les hubs jouent un rôle essentiel dans le soutien à l’entrepreneuriat, en aidant les jeunes entrepreneurs à accéder à des formations, des ressources technologiques et à des financements. L’essor de ces hubs contribue à la diversification économique et à la création d’emplois, en particulier dans les secteurs technologiques. Les hubs facilitent ainsi la collaboration entre entrepreneurs, investisseurs et institutions, renforçant ainsi l’écosystème technologique.
L’Afrique possède une population jeune et dynamique, où 60%[9] (soit environ 700 millions de personnes) de la population en 2023 a moins de 25 ans, ce qui favorise l’adoption rapide des nouvelles technologies ; cette jeunesse si elle est formée peut constituer un terreau favorable au développement d’innovations à impact, indispensables à l’Afrique. Les hubs technologiques par la variété des formations qu’ils dispensent permettent à des jeunes ou à des minorités d’acquérir des compétences pratiques souvent certifiées et aussi pour certains de reprendre le chemin des études supérieures. Les hubs technologiques africains ont ainsi pleinement le potentiel pour transformer le paysage économique et social du continent d’autant plus que leurs implantations régionalisées leur permettent d’être au plus proche des innovateurs et des entrepreneurs. Par leur présence dans les régions éloignées des capitales, ils permettent ainsi aux jeunes issus de milieux ruraux, qui peuvent aussi être porteurs de projets prometteurs, d’accéder à des formations techniques auxquelles ils n’avaient pas accès auparavant.
Par cette synergie avec les hubs technologiques, HUBiquitous a pu faire monter en compétence de nombreux jeunes hommes et femmes africains dans l’internet des objets et l’intelligence artificielle.
Quels sont les défis pour les hubs d’innovation digitale en Afrique ?
Les hubs africains sont confrontés à de nombreux défis comme l’ont confirmé les partenaires du projet en Égypte, au Ghana, en Tanzanie, au Nigeria et au Kenya.
En premier lieu, l’infrastructure et la connectivité représentent un obstacle majeur. L’accès à Internet et aux technologies demeure inégal, entravant ainsi l’adoption des solutions digitales émergentes telles que l’IoT ou l’Intelligence Artificielle. Les infrastructures numériques sont souvent concentrées dans les grandes agglomérations, laissant les populations des zones rurales et éloignées avec un accès limité, ce qui accentue les disparités.
En second lieu, la pénurie de compétences techniques constitue un défi prépondérant. Le manque de professionnels qualifiés dans les domaines de l’Internet des objets (IoT) et de l’intelligence artificielle (IA) constitue un frein significatif au développement de ces technologies. Or, il s’avère que les jeunes diplômés manquent de connaissances pratiques ayant principalement acquis lors de leur cursus universitaire des connaissances théoriques. Des initiatives pérennes de formation, telles que celle entreprise par le projet HUBiquitous, s’avèrent indispensables pour développer les compétences des jeunes talents et répondre à cette demande croissante.
De plus, les cadres réglementaires et les politiques en vigueur peuvent également entraver l’innovation. Par exemple, en Égypte, des restrictions sur l’importation de composants IoT compliquent la mise en œuvre de projets, limitant ainsi les opportunités de développement et d’innovation.
Enfin, les coûts élevés associés à la mise en œuvre des solutions IoT représentent un frein pour de nombreuses startups. Les hubs s’efforcent ainsi d’explorer de nouveaux modèles économiques durables qui permettraient de démocratiser l’accès aux composants et aux solutions IoT, favorisant ainsi une adoption plus large et inclusive de ces technologies.
Le Wazilab et la Solution Box, deux outils au service des hubs pour soutenir le développement des compétences et l’innovation
Afin de faciliter l’accès des hubs africains aux plateformes technologiques leur permettant de conceptualiser, développer et prototyper des services innovants, le projet HUBiquitous a conçu et déployé la plateforme Wazilab ainsi que la Solution Box. Ces deux outils, visent à renforcer les capacités locales et à encourager l’innovation. Le WaziLab[10] est une plateforme en ligne proposant des cours et des ressources pour former les utilisateurs aux technologies IoT. C’est une plateforme tout-en-un accessible gratuitement aux hubs afin de leur permettre d’offrir des programmes de formation en IoT et en IA à leur écosystème. La plateforme permet ainsi aux étudiants, éducateurs et professionnels d’accéder à des formations adaptées à leurs besoins.

En septembre 2024, les statistiques d’utilisation de la plateforme étaient très prometteuses avec 2000 utilisateurs, plus de 40 cours avec texte et vidéos, 18 programmes de certification IoT achevés et 56 composants IoT dans le laboratoire virtuel.
Le projet a aussi développé la Solution Box, un ensemble de technologies matérielles et logicielles qui facilite le développement de solutions IoT. C’est un package « prêt à l’emploi » de soutien technique, de formation et d’accompagnement commercial pour les entrepreneurs et les startups. La boîte est constituée de trois éléments essentiels (c’est-à-dire des kits matériels et logiciels, des supports de formation et de coaching, ainsi que des outils et modèles de développement commercial) nécessaires aux entrepreneurs et aux startups pour le prototypage rapide et la création de nouveaux services.

Et concrètement ?
Le projet HUBiquitous a lancé lors des 18 derniers mois du projet, le programme « TechHub Catalyst » afin de mettre en œuvre de manière concrète le Wazilab et la Solution Box. Plus de 150 hubs ont formulé leur intérêt à participer au programme à la suite de l’appel à candidature. Après une sélection rigoureuse, 15 hubs de 13 pays ont ainsi pu se former et former des jeunes entrepreneurs sur des technologies avancées telles que l’IoT et l’IA.
Objectifs clés du programme :
En premier lieu, le TechHub Catalyst ambitionne d’améliorer les capacités en matière d’Internet des objets (IoT) par le biais du renforcement des compétences techniques des hubs, permettant ainsi une utilisation optimale des technologies avancées. En second lieu, il s’attache à soutenir le développement de services à impact, en créant des offres à valeur ajoutée qui répondent aux besoins spécifiques des communautés locales, favorisant ainsi leur autonomie et leur pérennité. Enfin, le programme vise à encourager l’innovation et la croissance, en stimulant l’innovation technologique et en soutenant le développement économique local, contribuant ainsi à une dynamique de croissance inclusive et durable.
Un programme en trois phases :
La première phase a été consacrée à la formation intensive des futurs formateurs sur les technologies avancées. Après avoir suivi un cursus en ligne de cinq semaines, 30 formateurs ont participé au printemps 2024 à une formation intensive d’une semaine à Arusha, en Tanzanie. Cette démarche visait à doter les formateurs des compétences nécessaires pour transmettre efficacement leur savoir-faire et leurs connaissances.
La deuxième phase concernait l’établissement et la mise en œuvre de programmes de certification IoT, destinés à former des entrepreneurs et des étudiants. À ce jour, plus de 1300 participants ont eu l’opportunité de bénéficier de cette initiative formatrice, renforçant ainsi leur expertise et leur employabilité dans le domaine de l’Internet des objets.
Les participants ont participé à des sessions à la fois théoriques et pratiques utilisant le WaziLab et la Solution Box, avec un focus sur l’apprentissage pratique. Ils ont ainsi exploré divers composants électroniques, tels que des résistances, des transistors, des condensateurs et des diodes. Les sessions ont été structurées de manière à permettre aux participants de manipuler physiquement ces composants, de comprendre leurs propriétés et d’apprendre comment les intégrer dans des circuits de base.
Les participants ont ainsi acquis une expérience pratique dans l’utilisation des technologies Waziup pour prototyper des solutions IoT. De plus, ils ont développé une compréhension approfondie de la manière dont les technologies IoT et IA peuvent être exploitées pour résoudre des problèmes concrets.
Enfin, la troisième phase s’est concrétisée par l’organisation de la semaine de l’Innovation HUBiquitous, qui s’est déroulée à Kigali, au Rwanda, et à Berlin, en Allemagne en juin 2024. Ces deux événements ont été soigneusement conçus pour promouvoir la coopération entre les hubs d’innovation africains et européens, facilitant ainsi un échange fructueux de connaissances, d’expériences et de bonnes pratiques au sein de la communauté technologique internationale.
Enseignements tirés
Les résultats de ce programme ont été analysés et ont permis d’identifier les défis de ce type de formation. Ainsi, parmi les principaux défis identifiés lors de la phase 2, il apparaît que l’introduction des concepts liés à l’Internet des Objets (IoT), à l’intelligence artificielle (IA) et au Big Data a été complexe pour de nombreux participants (notamment en Ouganda, au Hub CIC installé au Rhino Camp, un camp de réfugiés accueillant plus de 120 000 soudanais du sud), en raison de la nouveauté de ces technologies et de leur niveau de difficulté technique. La densité du contenu pédagogique, combinée à la diversité des sujets abordés, a aussi pu limiter le temps disponible pour la pratique, ce qui a parfois empêché une assimilation approfondie des notions (par exemple pour le Sciency MakerLabs au Zimbabwe). De plus, certains participants ont dû abandonner le programme en raison de problèmes d’accès à Internet, rendant leur participation aux sessions en ligne difficile (ce fut le cas de Logic Hub au Rwanda).
Malgré ces obstacles, les résultats obtenus sont très encourageants, puisque beaucoup de participants ont exprimé une confiance accrue dans leur capacité à utiliser les données et l’IA pour innover dans leurs domaines respectifs (notamment les équipes féminines de Karakeeb en Egypte). Les services développés à la fin du programme ont montré des progrès significatifs, avec un bon niveau de sophistication technique, ce qui témoigne de l’efficacité de la formation et de l’utilisation des solutions proposées par HUBiquitous.
Ces résultats illustrent que, même face à des défis techniques et logistiques, le programme a permis de renforcer les compétences des participants et de favoriser la création de prototypes innovants, contribuant ainsi à la montée en compétence des hubs locaux et de leur écosystème.

Figure 1 : les 15 hubs partenaires du projet

Photo 2 : training des 30 formateurs à Arusha, Tanzanie

Photo 3 : HUBiquitous team at African Innovation week Kigali, Rwanda
Garder le cap sur la formation des jeunes est primordial
La croissance du marché de l’Internet des objets et de l’intelligence artificielle en Afrique constitue un facteur prometteur, soutenu par des investissements croissants dans divers secteurs tels que l’agriculture, la santé et les transports.
C’est pourquoi les initiatives de formation, comme celles proposées par le projet HUBiquitous, jouent un rôle essentiel dans le développement des compétences nécessaires pour relever les défis liés à l’émergence de ces nouvelles technologies. Ces programmes visent à préparer une nouvelle génération de professionnels hautement qualifiés.
De plus, l’innovation locale représente un atout majeur et les hubs africains sont idéalement positionnés pour innover en s’appuyant sur des ressources locales, leur permettant ainsi de concevoir des produits et services spécifiquement adaptés aux besoins des communautés.
Enfin, le soutien international, notamment celui des initiatives de l’Union européenne, offre aux hubs africains des ressources précieuses et des opportunités de collaboration, renforçant leurs capacités à se développer et à innover dans un contexte mondial.
Former aux technologies émergentes et donner à la jeunesse africaine les moyens de conceptualiser et de développer les services de demain est indispensable dans un continent qui, d’ici 2050, regroupera 25% de la population mondiale, voire 40% selon les projections actuelles à la fin du 21e siècle[11].

pratique concrète lors de la formation, Le Caire – Egypte
Conclusion
Le projet HUBiquitous, achevé en septembre 2024, a reçu les félicitations de la Commission Européenne pour la qualité des travaux réalisés. Il a permis de contribuer à créer un écosystème d’innovation durable qui répond aux défis locaux tout en favorisant la collaboration internationale. La pertinence des outils développés par le projet est démontrée par les nouveaux programmes de formation qui voient le jour sur la plateforme Wazilab et ceci indépendamment de tout financement.
Le projet a montré que l’intégration progressive des technologies IoT, IA et Big Data dans les hubs africains est possible grâce à une formation pratique, à la condition de surmonter les difficultés de connectivité et de compréhension initiale. Tous les participants mentionnent l’impact positif de ces initiatives sur le renforcement de leurs compétences qui ont non seulement permis la création de solutions adaptées aux besoins communautaires, mais supportent également la promotion de l’innovation technologique en Afrique.

Cérémonie de remise des prix du programme Techhub Catalyst au Dekut Innovators Club à Nyeri – Kenya
[1] Schwab, K. (2016). La quatrième révolution industrielle. Davos : Forum économique mondial.
[2] Organisation de coopération et de développement économiques (OECD). (2020). The Digital Economy Outlook.
[3] Brynjolfsson, E., & McAfee, A. (2014). The Second Machine Age: Work, Progress, and Prosperity in a Time of Brilliant Technologies. W. W. Norton & Company.
[4] United Nations Conference on Trade and Development (UNCTAD). (2021). Digital Economy Report 2021.
[5] Banque Mondiale (World Bank). (2019). World Development Report 2019: The Changing Nature of Work.
[6] African Development Bank. (2020). African Economic Outlook 2020.
[7] McKinsey Global Institute. (2017). Digital globalization: The new era of global flows.
[8]] https://www.capmad.com/fr/technologie-fr/innovation-plus-de-1000-hubs-techs-recenses-en-afrique/
[9] https://population.un.org/wpp/
[10] Wazi signifie en Swahili « ouvert ».
[11] https://www.imf.org/fr/Publications/fandd/issues/2023/09/PT-african-century
Légende photo du haut: Excellente ambiance de travail pour les participants lors d’un hackathon au Caire, en Égypte
Les résultats du projet en chiffres :
- 30 hubs de 13 pays africains ont bénéficié d’une formation intensive de renforcement des capacités en IoT de 4 à 6 mois.
- Plus de 1300 jeunes ont été formés sur l’IoT et utilisent activement les résultats du projet.
- 50 idées ont été prototypées au sein des hubs par de jeunes entrepreneurs et startups.
- 29 hackathons en présentiel organisés au cours du projet.
- Plus de 150 hubs ont exprimé leur intérêt à devenir membre du réseau HUBiquitous dans 25 pays africains.
En savoir plus :
Le projet HUBiquitous a reçu un financement du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne sous le numéro de convention de subvention 101016895.
Pour en savoir plus, découvrez le magazine HUBiquitous qui retrace toutes les réalisations du projet :

Photo 3 : extrait du magazine
https://HUBiquitous.eu/downloads
et retrouvez les vidéos du projet sur YouTube : https://www.youtube.com/@HUBiquitousH2020
et sur les réseaux sociaux : https://www.linkedin.com/company/hubiquitous-h2020/posts/?feedView=images
L’auteure de cet article remercie tous les partenaires du projet qui ont activement contribué à son succès.







