Une chaîne de Markov est un système mathématique qui passe d’un état à un autre selon des règles probabilistes. La spécificité du processus markovien réside dans le fait que la prédiction des états futurs dépend uniquement de l’état présent. Elle n’est pas rendue meilleure par des informations sur les états passés. L’espace d’état (c’est-à-dire l’ensemble de tous les états possibles) peut inclure une infinité de choses, y compris des notes.
Nouvelles technologies :
repousser les frontières
de l’Art
La technologie partage les progrès de la science sous forme de machines, produits et processus de l’industrie humaine. L’art, lui, communique des idées, des émotions, qui nourrissent notre société et nos conversations. Art et technologie ont de tout temps été liés : le médium est le message (Marshall McLuhan). Le cadre technique dans lequel nous vivons formate notre créativité.
Or ce cadre évolue, car les idées exprimées via un code informatique prennent de plus en plus de place dans notre quotidien. Cette numérisation en cours de nos sociétés construit pour l’art un nouveau terrain de jeu, avec ses mondes virtuels et ses nouvelles façons de commercer. Elle en change aussi les règles du jeu, au point de bousculer la notion même d’artiste à l’ère des réseaux.
Création et hybridation artistique à l’heure d’Internet
L’essor d’Internet et des technologies du Web a eu un impact profond sur la création artistique, qui est devenue beaucoup plus collaborative, appropriative et participative.
Dans les années 1990, l’essor d’Internet donne naissance au Net art, terme désignant des œuvres conçues “par, pour et avec Internet”. Les Net artistes utilisent le “réseau des réseaux” à la fois comme un support de diffusion, un outil de production artistique et un espace de vie des œuvres. Ils s’inspirent de ses caractéristiques propres pour échafauder des œuvres inédites, mais aussi pour expérimenter de nouveaux processus de création.
L’impact d’Internet sur l’art va aujourd’hui bien au-delà de la communauté Net art. Ses différentes évolutions technologiques façonnent de nouvelles générations d’artistes, tandis que la culture et les valeurs qui ont présidé à sa création continuent de transformer les modes de création et de bouleverser les relations entre artistes, œuvres et public.
Culture du libre et collaboration artistique
L’histoire d’Internet est étroitement liée à la culture informatique libre, fondée sur l’ouverture et le partage du code source des logiciels et sur la contribution volontaire de chercheurs et de programmeurs venant d’horizons variés. La plupart des briques de base d’Internet reposent sur des logiciels libres ou open source (les deux termes, bien que différents, renvoient à la notion d’ouverture du code) : tout le monde peut accéder à leur code source, l’utiliser, le copier, le modifier et le redistribuer.
Par exemple, en 1993, le logiciel du World Wide Web, qui venait d’être inventé par Tim Berners-Lee et Robert Cailliau, a été placé dans le domaine public, puis sous licence libre, ce qui a permis sa diffusion massive et rapide.
Pour les artistes qui utilisent le code informatique comme un instrument, l’open source représente à la fois un moyen de s’émanciper des logiciels propriétaires, souvent coûteux et peu flexibles, et un nouveau mode de création, plus ouvert et collaboratif.
Comme l’explique un journaliste de “VICE Magazine”, les principes d’ouverture, de partage et de collaboration de l’open source tranchent clairement avec la culture du secret qui règne dans le monde de l’art traditionnel (où les artistes sont peu enclins à partager leur manière de faire) et avec l’image du génie solitaire.
Les artistes qui travaillent avec des logiciels à code source ouvert forment une communauté d’utilisateurs qui s’entraident pour résoudre des problèmes techniques et artistiques. Ils se retrouvent sur des forums de discussion et sur GitHub (service d’hébergement et de développement de logiciels offrant des fonctionnalités de réseaux sociaux) pour partager leurs travaux, échanger sur leur processus créatif et sur les dispositifs techniques qu’ils utilisent. Certains contribuent également activement à l’amélioration d’outils de création communs, parmi lesquels on peut citer Processing ou openFrameworks, deux environnements de développement conçus par des artistes-codeurs pour les arts visuels.
De ce fait, les œuvres produites, nourries de contributions multiples, résultent d’un effort collectif. Certaines font elles-mêmes l’objet de licences libres (comme les licences Creative Commons ou la Licence Art Libre). Par exemple, il est prévu que le film d’animation 2D “ZeMarmot”, réalisé entièrement avec des logiciels libres (GIMP, Blender, Ardour, etc.), soit diffusé sous licence libre. Son scénariste, Jehan, est un des contributeurs principaux du logiciel de graphisme GIMP depuis 2012.
Mashup : l’appropriation artistique à l’heure d’Internet
Le mashup est un art composite qui consiste à réutiliser des sons, des images, des vidéos ou des textes existants pour obtenir une nouvelle création. Ce processus ajoute généralement très peu d’éléments originaux à l’œuvre finale, juste assez pour combiner de façon harmonieuse les différents composants. Un exemple de mashup connu est “The Grey Album”, du musicien Danger Mouse, qui reprend les morceaux “a cappella” de “The Black Album” du rappeur Jay-Z en les mettant sur des samples (des extraits sonores préexistants) du “White Album” des Beatles. Qu’ils visent la parodie, l’hommage ou la répétition d’un motif, de nombreux “mashupeurs” parviennent à transcender le matériau original pour lui donner un nouveau sens et trouver une expression créative qui leur est propre.
Si le mashup puise ses origines bien avant l’essor d’Internet, notamment dans l’appropriation artistique et le sampling musical, il se développe véritablement en tant que forme d’expression artistique avec l’évolution des technologies Internet. Les plateformes d’hébergement de fichiers numériques ou d’échange pair-à-pair fournissent aux internautes une abondance de matériel source et YouTube est devenu une source intarissable d’extraits de musiques et de films venant de toutes les époques et de tous les pays. La diffusion de nouveaux outils (logiciels de montage ou de mixage) facilite quant à elle le travail sur cette matière première.
Mais le mashup ne s’inscrit pas seulement dans un contexte technologique, il s’inscrit également dans un contexte culturel propre à Internet, qui stipule un accès libre – et souvent gratuit – à l’information, et par extension aux contenus culturels, qui circulent sur le réseau.
Ainsi, le mashup musical s’est popularisé sous l’action combinée de l’invention du format MP3, qui a permis une réduction importante de la taille des données audio, facilitant leur transfert et leur stockage ; de l’idée fondamentale d’échange libre et gratuit de fichiers en ligne ; et des pratiques qui se développent à la fin des années 1990 sur les plateformes de partage de données en pair-à-pair comme Napster.
Le Web 2.0 et l’art participatif
En 2013, les artistes contemporains Ai Weiwei et Olafur Eliasson inaugurent leur projet commun Moon. Moon est un espace virtuel collaboratif qui se présente sous la forme d’une lune divisée en plusieurs milliers de parcelles vierges, sur lesquelles chacun est invité à laisser sa marque. Ce projet, qui a rassemblé plus de 80.000 contributions entre 2013 et 2017 et a transcendé les frontières et les différences culturelles, est un bel exemple d’expérience artistique participative.
Tout comme l’informatique et Internet, l’avènement du Web 2.0 et des réseaux sociaux, en tant que technologies et en tant que culture, a eu un impact profond sur la création artistique. Offrant aux artistes de nouveaux moyens matériels pour inclure davantage le public dans la vie des œuvres, le Web 2.0 se caractérise par sa dimension participative – d’où son nom de “Web participatif”. Il permet aux internautes d’interagir et de produire des contenus beaucoup plus facilement qu’auparavant.
L’art interactif, par définition participatif, tirait déjà parti des nouvelles technologies pour permettre au public d’explorer et d’influer sur une œuvre. Capteurs, interfaces et algorithmes assurent le rôle d’intermédiaires entre le public et l’œuvre, permettant au public d’agir et à l’œuvre de réagir, et ce, en temps réel.
Le Web 2.0 permet aux artistes d’aller plus loin et de développer des degrés d’interactivité plus élevés avec ce que le chercheur français Jean-Paul Fourmentraux appelle des “dispositifs à contribution”.
Ces dispositifs permettent aux internautes d’intervenir sur une installation, virtuelle ou physique, en la transformant ou en apportant de nouvelles données (dans le cas de Moon, il s’agissait de dessins et de textes). Ils participent en suivant des règles prédéfinies ou non, en temps différé ou en temps réel, à l’émergence d’une œuvre collective, dont ils deviennent les coauteurs.
Grâce au Web, le public contribue également à la vie de l’œuvre par le biais du financement participatif, ou “crowdfunding”, qui facilite la mise en relation de porteurs de projet – artistes, institutions, etc. – avec des mécènes d’un genre nouveau au moyen de plateformes en ligne (généralistes, comme KissKissBankBank et Ulule, ou spécialisée comme Proarti).
Depuis une dizaine d’années, de nombreux projets artistiques et culturels ont vu le jour grâce à ce nouveau mode de financement. Et si le cinéma et la musique ont été les premiers domaines à en bénéficier, tous les champs de la création sont aujourd’hui concernés : des arts visuels au spectacle vivant, en passant par la littérature.
Quand l’art inspire la recherche technologique
Les innovations technologiques ont influencé la créativité et l’expression artistique. Mais cette relation n’est pas à sens unique. Chercheurs et ingénieurs se tournent aussi vers l’art pour tenter de résoudre des problèmes scientifiques et technologiques.
Quel est le rapport entre la littérature russe du XIXe siècle et la théorie des probabilités ? En 1913, le mathématicien russe Andreï Markov, qui a consacré l’essentiel de ses travaux à l’étude des phénomènes caractérisés par le hasard, décide d’analyser la succession des caractères cyrilliques du roman en vers “Eugène Onéguine” d’Alexandre Pouchkine. Il remarque que l’apparition d’une lettre dépend, avec une certaine distribution de probabilité, de la lettre qui la précède.
De cette observation naîtront les , un processus aléatoire décrivant une séquence d’événements dans laquelle la probabilité de chaque événement futur ne dépend que de l’état de l’événement présent. À la base de nombreux algorithmes, utilisés par exemple en météorologie, dans la modélisation des réseaux de télécommunications ou la prévision de trafic, la mise au point des chaînes de Markov est un exemple parmi d’autres montrant que la relation entre art et technologie n’est pas à sens unique.
Le cyberpunk et la recherche en réalité virtuelle
De nombreux auteurs se sont intéressés aux liens entre science-fiction (SF) et technologie, et plus spécifiquement à l’influence de la première sur la seconde. Dans un article de référence sur le sujet, l’écrivain scientifique anglais Jon Turney explique notamment que la recherche technologique implique toujours une mise en récit. “Chaque technologie prend naissance dans l’imagination et nécessite une description de ce qu’elle pourra accomplir […]. Chaque brevet raconte une histoire. Fabriquez ce dispositif, ou suivez ce processus, et certaines choses seront possibles – des choses jamais vues auparavant.”
L’anticipation peut fournir ce “storytelling”, ce qui fut par exemple le cas du roman “La Destruction libératrice”. Écrit par H. G. Wells en 1913, il fut envoyé par le physicien Leó Szilárd, concepteur de la réaction en chaîne nucléaire et contributeur au projet Manhattan, à des investisseurs potentiels pour les aider à visualiser son idée. Pour sa part, Jeremy Bailenson, chercheur en psychologie à l’université américaine de Stanford, soutient que de nombreuses questions soulevées dans la littérature cyberpunk des années 1980 sont devenues des thèmes de recherche en réalité virtuelle.
Le cyberpunk est un genre de la SF mettant en scène une société technologiquement avancée, où la technologie a pénétré tous les domaines de la vie et colonisé le corps humain. Selon Bailenson, l’univers des chercheurs en réalité virtuelle a toujours été intimement lié à celui des auteurs cyberpunks.
Il y a deux raisons à cela : premièrement, les deux groupes collaborent, comme le montre la relation entre Jaron Lanier, l’un des pionniers de la réalité virtuelle, et William Gibson, auteur de “Neuromancien”, le roman emblématique du genre. Deuxièmement, les œuvres cyberpunks sont considérées comme des sources sérieuses dans les cours sur la réalité virtuelle et les interactions digitales. Il en résulte que ces œuvres de SF façonnent la manière dont les chercheurs en réalité virtuelle appréhendent certains concepts, tels que l’avatar, la présence ou les interactions sociales à l’intérieur des mondes virtuels.
Si cette théorie ne fait pas l’unanimité, force est de constater que la différence entre SF et prospective (science visant à prévoir l’évolution future des sociétés) est parfois ténue. En témoigne l’initiative Red Team, équipe composée d’auteurs de SF constituée par le ministère français des Armées ayant pour mission d’imaginer les conflits de demain.
L’improvisation jazz et la communication homme-machine
Le projet MUSICA (MUSical Interactive Collaborative Agent) vise à développer une intelligence artificielle (IA) capable de jouer du jazz et d’improviser aux côtés de musiciens humains. Le système est entraîné à partir d’une base de données réunissant des milliers de transcriptions de performances musicales réalisées par de grands noms du jazz à l’aide de techniques d’apprentissage automatique. Cela lui permet d’analyser ces transcriptions pour identifier des modèles musicaux, puis d’utiliser ces connaissances pour composer et jouer de la musique en direct.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, MUSICA n’est pas financé par une major ou par une start-up de musique assistée par ordinateur, mais par la DARPA, l’agence du département de la Défense américaine chargée de la recherche et développement de technologies militaires, dans le cadre d’un programme plus large intitulé “Communicating with Computers” (communiquer avec les ordinateurs).
La finalité de MUSICA n’est pas de développer un robot joueur de jazz, mais de faire progresser le domaine du traitement automatique de la langue naturelle. Ces travaux suggèrent que la modélisation informatique de morceaux de jazz improvisés peut permettre d’améliorer la capacité des robots à communiquer et collaborer avec les humains.
“L’implication claire est que l’improvisation jazz est si paradigmatiquement représentative de modes plus généraux d’interaction humaine que sa réplication technologique aurait une sorte de valeur militaire allant au-delà de sa signification intellectuelle ou esthétique”, écrit Brian A. Miller, chercheur en musique à l’université américaine de Yale.
L’improvisation et la conversation présentent de nombreuses similitudes. Elles reposent toutes les deux sur la compréhension d’une multitude de signes (signes linguistiques, gestes, expressions faciales, etc.), sur un mélange de créativité (permettant d’adapter ses actions aux réactions de ses partenaires) et de règles, ou encore sur l’expérience. Quasiment toutes les conversations comportent une part d’improvisation, tandis que l’improvisation en jazz résulte toujours d’une conversation entre les musiciens, comprenant à la fois des éléments de communication verbale et des éléments de communication non verbale.
Le domaine émergent de la chorégraphie robotique
Alors que les robots mobiles font leur apparition dans notre vie quotidienne, humains et robots seront de plus en plus amenés à partager le même espace physique. Il est donc essentiel que ces derniers soient capables de naviguer dans des environnements humains de manière sûre, efficace et socialement acceptable. En effet, les robots livreurs et autres robots de service devront non seulement pouvoir suivre un itinéraire et éviter les collisions avec des obstacles et des personnes, mais aussi respecter un certain nombre de conventions sociales : ne pas empiéter sur l’espace personnel, ne pas interrompre une conversation de groupe, se déplacer sans perturber les piétons, etc. On parle de “navigation socialement consciente”.
De nombreux spécialistes en robotique pensent que la chorégraphie, l’art d’écrire la danse, peut les aider à programmer des robots “avec une conscience sociale”. Cette idée a donné naissance au domaine de la chorégraphie robotique (“choreorobotics”). “A priori”, les deux univers sont assez éloignés. La chorégraphie consiste à inventer des mouvements et des gestes avec une intention artistique, en cherchant généralement à maximiser la valeur esthétique. En robotique, la planification de mouvements vise à calculer des trajectoires et à permettre à un système autonome de se déplacer d’un point à un autre de façon optimale et en évitant les obstacles.
Toutefois, les deux disciplines s’intéressent aux mouvements du corps dans un environnement donné. “Malgré le fossé historique [entre la danse et la robotique], il n’est peut-être pas exagéré de considérer les roboticiens comme un genre de chorégraphes spécialisés, et de penser que l’intégration de la chorégraphie et de la robotique pourrait profiter aux deux domaines”, écrit un journaliste de “Wired”.
De fait, des collaborations entre roboticiens et chorégraphes existent depuis longtemps. Certains chercheurs se situent même à l’intersection des deux domaines, comme Catie Cuan, danseuse et chorégraphe professionnelle, et candidate au doctorat en génie mécanique à l’université de Stanford.
Dans un article rédigé pour la revue “Scientific American”, celle-ci explique que la compréhension et la prédiction des mouvements humains sont un défi difficile en navigation sociale. Or le rôle des chorégraphes est précisément de donner des directives aux danseurs, qui les appliquent en fonction de facteurs liés à l’espace et aux autres personnes qui les entourent. “Les chorégraphes ne se contentent pas de composer des séquences de mouvements, ils placent les mouvements de différents agents dans un contexte […].” Pour ce faire, ils utilisent un certain nombre de techniques, qui pourraient inspirer la programmation robotique dans des environnements complexes.
On oppose souvent art et science. Pourtant, l’art cherche aussi à décrire le monde et la science comporte une part de créativité et d’imagination. L’art sous toutes ses formes insuffle de nouvelles idées, qui inspirent les chercheurs et les ingénieurs. Cinéma, littérature, musique, etc. donnent à voir de nouvelles possibilités, tant du point de vue des technologies elles-mêmes que de leurs usages et de leurs impacts sur la société, et recèlent parfois des solutions pour résoudre des problèmes d’ingénierie très concrets.
Quand la science-fiction prédit les technologies de demain
À travers la littérature ou le cinéma, la science-fiction a depuis longtemps fait rêver. Certains esprits comme Jules Verne, par exemple, en étaient d’ailleurs des précurseurs et imaginaient déjà à leur époque les technologies et usages de demain, poussant les scientifiques à passer de l’imaginaire à la réalité. Tour d’horizon des technologies imaginées par l’Art.
Les algorithmes-artistes bousculent notre conception de la créativité
Les algorithmes sont désormais capables de créer des œuvres d’art inédites en s’inspirant de milliers d’images et d’inventer de nouveaux styles artistiques. Tour d’horizon de ces “algorithmes-artistes” qui bousculent le monde de l’art et interrogent notre conception de la créativité.
L’un des premiers exemples d’art algorithmique – d’art généré par des algorithmes – remonte à 1973, lorsque le peintre anglais Harold Cohen écrit un programme informatique, baptisé AARON, capable de produire des dessins originaux. L’artiste américain Jean-Pierre Hébert précise les contours de ce courant artistique vingt ans plus tard et invente le terme d’“algoriste”. Un artiste est un algoriste lorsqu’il crée un objet d’art à partir d’un algorithme qu’il a lui-même conçu. L’acte de création se trouve dans l’écriture du code, qui devient partie intégrante de l’œuvre finale.
Les progrès réalisés en intelligence artificielle (IA) remettent en question cette définition et font émerger une nouvelle génération de modèles. Grâce à l’apprentissage automatique, les algorithmes ne se contentent plus de suivre un ensemble de règles prédéfinies par l’artiste-programmeur. Alimentés par une grande quantité de données, ils assimilent les propriétés esthétiques de corpus artistiques et acquièrent de plus en plus d’autonomie dans la production de contenus. Depuis les années 2010, de nombreuses familles d’algorithmes ont été utilisées pour explorer de nouvelles pratiques et repousser toujours plus loin les limites de la “créativité artificielle”.
Les compositeurs s’emparent des chaînes de Markov
Les musiciens font figure de précurseurs en matière d’art algorithmique. Ils s’intéressent très tôt à l’utilisation de programmes informatiques pour composer de la musique. Déjà en 1957, deux Américains, le compositeur Lejaren Hiller et le mathématicien Leonard Isaacson, programmaient le superordinateur ILLIAC I pour générer des suites de musique à l’aide de .
Aujourd’hui, des modèles markoviens sont entraînés par apprentissage automatique, à partir de morceaux de musique existants. Ils analysent les caractéristiques musicales (rythme, tempo, mélodie, etc.) et les séquences de notes pour déterminer la probabilité qu’une note en suive une autre. Ils peuvent ensuite générer de nouveaux morceaux de musique dans le même style que le corpus original. Les chaînes de Markov ont par exemple été utilisées pour l’improvisation en jazz.
Les GAN deviennent la figure de proue des algorithmes créateurs
Avec la vente aux enchères très médiatisée du “Portrait d’Edmond de Belamy” chez Christie’s en 2018, les modèles génératifs deviennent la figure de proue de l’art algorithmique. En effet, cette œuvre du collectif Obvious a été générée par un réseau antagoniste génératif (GAN, pour “Generative Adversarial Network”).
Introduits par le chercheur en apprentissage automatique américain Ian J. Goodfellow en 2014, les GAN sont une classe d’algorithmes d’apprentissage non supervisés où deux réseaux de neurones artificiels s’affrontent : le générateur et le discriminateur. Le système est alimenté par une banque de données composée d’œuvres d’art, par exemple des milliers d’images de peintures cubistes du début du xxᵉ siècle. Le générateur doit produire de nouvelles peintures en imitant le style cubiste. Le discriminateur doit quant à lui essayer de faire la différence entre les œuvres authentiques et celles générées par son adversaire. En fonction du résultat, le générateur propose de nouvelles images de plus en plus convaincantes, et cela jusqu’à ce que le discriminateur ne puisse plus distinguer le vrai du faux.
L’artiste joue un rôle plus ou moins actif dans ce processus. À défaut de construire l’algorithme génératif (ce ne fut pas le cas des membres d’Obvious, qui ont emprunté le code à un autre artiste-programmeur), il le sélectionne, le modifie pour obtenir le résultat désiré et l’exécute. Il collecte les données d’entrée (à l’aide d’un outil de “scraping”, une technique d’extraction automatique des données de sites Web), les sélectionne (pré-curation), puis trie les contenus générés par la machine (post-curation). Dans “Fall of the House of Usher II”(2017), l’artiste anglaise Anna Ridler a choisi de créer sa propre banque de données en réalisant plus de 200 dessins.
De ce fait, artiste et machine collaborent pour cocréer un objet d’art.
Les CAN inventent de nouveaux styles artistiques
En 2017, des chercheurs du laboratoire d’Art et d’Intelligence artificielle de l’université Rutgers, aux États-Unis, proposent une nouvelle méthode pour générer de l’art inédit et inventent des GAN créatifs, les CAN (Creative Adversarial Networks).
Partant du postulat que les GAN sont limités dans leur créativité en raison même de la façon dont ils sont conçus (leur objectif étant d’imiter le mieux possible des œuvres d’art existantes, appartenant à un courant donné), ils modifient le processus pour les rendre capables de générer de l’art créatif en maximisant la déviation du système par rapport aux styles établis.
Les CAN poursuivent trois objectifs. Ils doivent générer des œuvres nouvelles (1), sans toutefois l’être trop, c’est-à-dire qu’elles s’éloignent trop des données d’entrée, pour ne pas susciter l’aversion (2). L’œuvre générée doit également augmenter l’ambiguïté stylistique, c’est-à-dire être difficilement classable dans un style (3). Comme les GAN, les CAN comportent deux réseaux adverses. Le discriminateur utilise un large ensemble d’œuvres étiquetées pour apprendre à différencier les styles (Renaissance, baroque, impressionnisme, expressionnisme, etc.). Le générateur produit une œuvre à partir d’une entrée aléatoire. Mais, contrairement aux GAN, il reçoit deux signaux. Le premier lui indique si le discriminateur pense que l’œuvre qui lui est présentée est de l’art ou pas, et le second si le discriminateur a été capable de classer cette œuvre dans un style établi.
Ces deux signaux agissent comme des forces contradictoires, car le premier pousse le générateur à émuler l’art, tandis que le second le pénalise si le discriminateur parvient à classer son style. Cela pousse le générateur à explorer l’espace créatif et à créer des œuvres qui, selon les chercheurs de l’université Rutgers, ont non seulement trompé des humains, mais ont aussi été mieux notées que les œuvres d’origine.
Les algorithmes évolutionnistes imitent la pensée créative
Moins médiatisés, les algorithmes évolutionnistes sont aussi utilisés pour générer des objets d’art crédibles. Inspirés de la théorie de Charles Darwin sur l’évolution des espèces, ils reposent sur les trois principes fondamentaux de la sélection naturelle. Selon ces principes, il existe des différences entre les individus de la même espèce (principe de variation). Certains traits sont plus avantageux que d’autres et permettent à ceux qui les possèdent de mieux survivre et de se reproduire que leurs congénères (principe d’adaptation). Ces traits se transmettent d’une génération à l’autre (principe d’hérédité). L’idée des algorithmes évolutionnistes créatifs est de reproduire la démarche intellectuelle de l’artiste, qui imagine, teste et sélectionne de nouvelles idées. Il s’agit de modifier de façon aléatoire et d’une multitude de manières des données d’entrée, de sélectionner la ou les variantes les plus adaptées et de répéter ce processus jusqu’à ce qu’une idée satisfaisante en émerge. Lors de ce processus itératif, l’artiste intervient pour choisir les variations les plus esthétiques d’une génération, mais il est également possible d’automatiser cette étape.
Si l’évolution des algorithmes créateurs s’est faite dans un sens allant vers plus d’autonomie dans la production d’œuvres, sont-ils pour autant devenus créatifs ? Sont-ils amenés à remplacer les artistes ou resteront-ils cantonnés au rôle d’outils au service de la créativité augmentée ? Ces questions font l’objet de débats. Une chose est certaine, la transmission aux machines de la créativité, notion intrinsèquement liée à la nature humaine, est un défi de taille pour l’apprentissage automatique !
Théorie, pratique : le numérique démocratise l’art
Expériences muséales inédites grâce aux technologies immersives, vulgarisation artistique via les médias sociaux, émergence de nouveaux modes de production avec les outils de création numériques… Les nouvelles technologies contribuent à la diffusion de l’art et de la culture auprès d’un public toujours plus large.
Début des années 2000, les arts numériques font leur entrée au musée et les institutions culturelles commencent à explorer l’utilisation des nouvelles technologies pour repenser la mise en valeur de leurs collections. L’enjeu : accroître la fréquentation des musées et galeries d’art – des lieux encore trop souvent perçus comme étant réservés à une poignée d’initiés – et étendre leur action au-delà de l’espace feutré des salles d’exposition, jusqu’au Web.
Parallèlement, la démocratisation des outils de création numériques conduit à l’émergence de nouvelles pratiques chez les amateurs et à de nouveaux modes de production artistique, contribuant aussi à rendre l’art accessible au plus grand nombre.
Réinventer la médiation culturelle : visites virtuelles et technologies immersives
Le numérique abolit la distance géographique. Les musées et les expositions se visitent désormais à distance, depuis le confort de sa maison. Lancé en 2011 en partenariat avec dix-sept organisations culturelles, comme le MoMA de New York ou la Tate Britain de Londres, Google Arts & Culture offre aux internautes la possibilité de parcourir différents musées et sites du patrimoine mondial, et de visualiser des dizaines de milliers d’œuvres en haute définition grâce à la technologie Street View.
Si la plateforme de Google rassemble aujourd’hui la plus grande collection d’art au monde, de nombreux musées ont suivi son exemple et proposent leurs propres expositions en ligne et visites à 360°.
La démocratisation de l’art passe aussi par une réinvention de la muséographie et de la mise en relation entre les visiteurs et les œuvres. Pour attirer un public plus large – et plus jeune –, plusieurs institutions culturelles n’hésitent plus à s’emparer des technologies pour expérimenter de nouvelles formes de médiation.
Il ne suffit plus d’exposer des œuvres sur un mur, œuvres que les visiteurs contempleront passivement. Il faut offrir de nouvelles expériences leur permettant d’interagir avec ces œuvres, de les vivre de l’intérieur et de se les approprier dans une attitude active.
Se plonger au cœur d’une toile pour en explorer les moindres détails, visiter l’atelier d’un sculpteur, flâner dans des lieux depuis longtemps disparus ou découvrir une scène vivante de la vie d’autrefois… Ces nouvelles expériences sont permises par la combinaison de plusieurs technologies interactives et immersives telles que le mapping vidéo, la réalité augmentée (AR), la réalité virtuelle (VR), les interfaces multisensorielles ou les hologrammes. Les nouvelles générations de réseau mobile qui multiplient les débits et réduisent la latence, comme la 5G, les rendent accessibles depuis un smartphone ou une tablette.
Par exemple, à Paris, le Grand Palais a proposé d’explorer en AR et VR la Maison au Jardin de Pompéi, avant l’éruption du Vésuve et dans le présent, grâce à des reconstitutions 3D et à des prises de vue en très haute résolution du site. L’Imperial War Museum de Londres va, lui, programmer une exposition holographique, que les visiteurs pourront découvrir depuis chez eux, sans équipement coûteux, grâce à la technologie Desktop AR. Développé par la start-up Perception, ce système d’AR transforme un écran d’ordinateur ordinaire en un affichage volumétrique faisant apparaître des objets 3D devant l’écran, simplement à l’aide d’une webcam et de lunettes anaglyphes (utilisant un filtre de couleur différent pour chaque œil) standard.
Orange et la société de production Amacilio proposent quant à eux une visite en réalité virtuelle de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Cette expérience très immersive permet de découvrir l’histoire de ce monument emblématique et d’y déambuler librement comme si on y était.
Vulgariser l’art : MOOC et réseaux sociaux
D’importants efforts sont également menés pour démocratiser la connaissance des arts. Le numérique est utilisé comme support pour partager des contenus de vulgarisation artistique, mettant l’art à la portée de tous.
Le Louvre, le Centre Pompidou, le Grand Palais et une multitude d’autres établissements, culturels ou universitaires, en France et à l’étranger, produisent de plus en plus de podcasts et de MOOC (Massive Open Online Course, ou formations en ligne ouvertes à tous). C’est aussi le cas de la Fondation Orange, qui offre des MOOC culturels en relation avec les expositions qui se tiennent en France.
Ces cours à la carte, proposant souvent différentes activités ludiques, sont dispensés en ligne sur des plateformes spécialisées, telles que France université numérique ou Coursera.
Les réseaux sociaux ont eu un profond impact sur la démocratisation de l’art. Sur YouTube ou Instagram, de nombreux créateurs – étudiants en art, experts ou simples passionnés – proposent des contenus originaux, pédagogiques et engageants. Ils partagent un regard moins académique et plus personnel sur les différentes disciplines artistiques. Ils dépoussièrent l’histoire de l’art, décodent des sujets complexes ou des œuvres populaires, les mettant parfois en résonance avec des thématiques actuelles qui intéressent leur audience.
Bien conscientes de cette tendance, les institutions culturelles misent de plus en plus sur les réseaux sociaux en produisant des contenus spécifiquement pour ces canaux de diffusion et en collaborant avec des influenceurs. Par exemple, beaucoup d’entre elles ont répondu en décembre 2020 à l’invitation de TikTok, qui organisait une opération spéciale en France.
Faciliter la pratique artistique : l’exemple de la musique et des DAW
En parallèle, les innovations en matière d’outils de création numériques ont ouvert la formation et la production artistiques à un public plus large.
Par exemple, l’évolution de la puissance des ordinateurs, couplée à la multiplication des logiciels “grand public”, ergonomiques, faciles à utiliser et regorgeant de toujours plus de fonctionnalités, ont contribué à rendre la pratique musicale plus accessible. De la composition au mastering (qui vise à perfectionner la qualité du signal sonore sur tous les appareils) et à la diffusion des œuvres, en passant par la formation musicale et la pratique d’instruments, toute la chaîne de création est concernée.
Comme le synthétiseur numérique avant eux, les logiciels de création musicale “tout-en-un”, les DAW (Digital Audio Workstation, ou station audionumérique), ont donné naissance à une nouvelle génération d’artistes en leur ouvrant des possibilités auparavant réservées à des spécialistes. En effet, des logiciels comme GarageBand, Ableton ou Logic Pro permettent d’enregistrer ou de produire des sons, de leur appliquer différents effets et de les mixer relativement facilement et avec peu de moyens.
Construit autour de ces DAW, auxquels peuvent s’ajouter des équipements logiciels ou matériels, le home studio – studio d’enregistrement à la maison – a levé les barrières à l’entrée de la production musicale (accès aux studios d’enregistrement classiques, nécessité de signer avec une maison de disques, etc.) et favorisé l’émergence de l’autoproduction.
Au fil du temps, les différentes briques du home studio sont devenues plus simples à utiliser et moins coûteuses. Aujourd’hui, de nombreux musiciens amateurs ou souhaitant démarrer une carrière professionnelle, équipés seulement d’un ordinateur, composent et arrangent leurs morceaux chez eux, puis les partagent sur des plateformes de diffusion audio, comme SoundCloud.
De manière générale, l’irruption de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique dans le paysage des outils de création devrait pousser la démocratisation des pratiques artistiques à son paroxysme. La promesse? Aider des amateurs, sans formation préalable en art ni même connaissance de la programmation informatique, à produire des images, des sons et des textes à partir de l’analyse d’immenses banques de données. Ces artistes amateurs pourront-ils rivaliser avec des artistes professionnels ? Si l’IA permet d’imiter des styles et des compositions artistiques, même complexes, se pose la question de l’originalité, de la sensibilité, de la vision artistique… Des facultés que seuls les humains possèdent et qui se cultivent par l’expérience.
Au-delà de l’effet de mode, les NFT stimulent le marché de l’art
Mis sur le devant de la scène artistique en 2021, les NFT (“non-fungible tokens”, jetons non fongibles) font l’objet d’un engouement de la part des marchands d’art, des collectionneurs et même des musées. Cette technologie, fondée sur la blockchain, transforme le marché de l’art et ouvre des perspectives pour les artistes.
En mars 2021, un collectif du nom de Burnt Banksy brûle en direct sur Twitter une gravure originale de Bansky, ensuite “réincarnée” en œuvre numérique associée à un jeton non fongible (NFT). Sacrilège pour certains, révolutionnaire pour d’autres, cette action propulse le monde de l’art dans un nouvel univers, celui du crypto art.
Le terme “crypto art” désigne des œuvres d’art, le plus souvent numériques, accompagnées de NFT, qui peuvent par ailleurs être associés à tout type d’objet digital (cartes à collectionner virtuelles, objets de jeux vidéo, fichiers musicaux, etc.). Un NFT est un type de jeton cryptographique unique, c’est-à-dire qui n’est pas interchangeable (contrairement à une cryptomonnaie), stocké dans une blockchain. Il pointe vers un fichier numérique représentant une œuvre d’art et contenant un certain nombre d’informations à destination des acheteurs potentiels : son titre, sa date de création, le nom de l’auteur, une description ou encore un historique de propriété.
Les NFT peuvent être créés – on parle de “mint” (frappe en français), un processus qui consiste à convertir un fichier numérique en NFT, c’est-à-dire en un actif numérique stocké sur la blockchain – et vendus sur des plateformes spécialisées comme OpenSea, Rarible ou SuperRare. L’acheteur acquiert le droit de propriété de l’œuvre originale incluse dans ce NFT via un contrat intelligent. L’artiste conserve toutefois ses droits d’auteur et de reproduction. Il peut également inclure au contrat un droit de suite, lui permettant de percevoir un pourcentage à chaque revente du NFT.
Ruée vers l’or du crypto art
Le premier NFT de type artistique a été créé en 2014 par l’artiste numérique américain Kevin McCoy, mais ce n’est qu’en 2017 que l’utilisation des NFT commence à se populariser avec le lancement des CryptoPunks, une série de 10 000 personnages uniques générés par un algorithme. La vente, en mars 2021, du collage virtuel “Everydays: the First 5000 Days” de l’artiste américain Beeple par la maison de ventes aux enchères Christie’s pour 69,3 millions de dollars, marque le début d’une véritable “ruée vers l’or” du crypto art, dans laquelle se lancent un grand nombre d’artistes et de collectionneurs venus d’horizons divers.
Selon Primavera De Filippi, chercheuse associée au CNRS et à l’université d’Harvard interrogée par le magazine “BeauxArts”, le crypto art n’est pas une nouvelle forme d’art, les NFT n’étant qu’un outil permettant la vente d’œuvres numériques enregistrées sur la blockchain. “La vraie révolution des NFT n’est pas liée aux nouvelles pratiques artistiques qu’ils engendrent, mais plutôt à leurs répercussions sur le marché de l’art”, affirme la chercheuse.
Les NFT dopent l’art numérique
Grâce aux propriétés de la blockchain, les NFT agissent comme des certificats d’authenticité numériques infalsifiables, rédigés et signés par les artistes. Ces technologies confèrent un caractère unique aux fichiers numériques qui sont, par définition, reproductibles à l’infini.
Elles garantissent aux acheteurs de posséder à la fois une œuvre numérique authentique et un “tirage” original – ce qui était impossible auparavant. Ces deux paramètres essentiels pour les collectionneurs donnent une valeur financière à l’œuvre d’art et lui permettent d’être achetée et (re)vendue comme un objet d’art traditionnel.
De ce fait, les arts numériques – qui peinaient encore à trouver leur place sur le marché de l’art, notamment en raison de la difficulté à monétiser les œuvres – attirent désormais l’attention des marchands d’art. À la suite de la vente très médiatisée du collage de Beeple, de nombreuses galeries d’art privées et maisons de ventes aux enchères ont commencé à intégrer des œuvres de crypto art à leurs catalogues.
Les musées, eux aussi, s’intéressent aux NFT, qui constituent potentiellement pour eux une source de revenus supplémentaire. Fin 2021, à Londres, le British Museum mettait en vente, en partenariat avec la start-up française LaCollection, plus de 200 reproductions numériques des estampes emblématiques du peintre japonais Hokusai lors d’une exposition consacrée à l’artiste.
Tendance de fond ou mode passagère ?
Il est trop tôt pour savoir si les NFT seront amenés à durer et si les institutions culturelles sont véritablement convaincues de leur pertinence. Faute de maturité technologique, ils présentent encore des failles peu compatibles avec les exigences spécifiques des acteurs du monde de l’art.
Au cours des derniers mois, plusieurs fraudes sont apparues avec la vente d’œuvres contrefaites ou volées par des individus se faisant passer pour des artistes reconnus, ou ayant récupéré et “tokenisé” (c’est-à-dire transformé en NFT) des œuvres sans l’autorisation de leurs auteurs.
En outre, les œuvres de crypto art sont stockées hors chaîne (off-chain), ce qui les rend vulnérables au phénomène de pourrissement des liens, qui invalide des liens hypertextes. Seul le NFT est stocké dans la blockchain. Le fichier numérique de l’œuvre d’art, bien trop volumineux, est consultable sur une page Web traditionnelle, accessible grâce à une URL.
Une chance pour les artistes ?
“A priori”, l’irruption des NFT dans le marché de l’art offre de nombreux avantages pour les artistes. En leur permettant de monétiser plus facilement leurs créations, ils peuvent leur offrir un moyen de mieux vivre de leur travail.
Dans un monde où critiques d’art, commissaires d’exposition, marchands et collectionneurs jouent un rôle essentiel dans la reconnaissance artistique et l’évaluation de la valeur esthétique et marchande des œuvres, les NFT font également figure d’agents perturbateurs. Ils permettent de contourner les circuits classiques et de supprimer les intermédiaires, remettant en question les codes traditionnels du monde de l’art. Ils donnent aux artistes la possibilité de s’affranchir des intermédiaires pour diffuser leurs œuvres auprès d’un public plus large.
De fait, les plateformes de crypto art permettent à tout un chacun de posséder des œuvres virtuelles. Jusqu’à présent, elles ont surtout incité de nouveaux acheteurs (figures de la tech ou de la finance, jeunes célébrités, détenteurs de longue date de cryptomonnaies, etc.) à entrer dans le marché de l’art.
Toutefois, les NFT font l’objet de vives critiques, notamment de la part des artistes, qui sont nombreux à refuser de les utiliser en raison de leur empreinte environnementale ou du fait qu’ils contribuent selon eux à une financiarisation de l’art.
Certains estiment également que, loin de protéger leurs créations, le marché du crypto art et les appétits qu’il attise les rendent plus vulnérables au vol et à l’appropriation. Plusieurs œuvres publiées sous licence libre ont ainsi été récupérées et transformées en NFT sans l’autorisation de leur auteur. Ce procédé, légal lorsque la licence prévoit un usage commercial, peut violer le droit moral des artistes.
Enfin, la création et la vente de NFT étant associées à de nombreux frais (frais de frappe, frais de mise en vente, frais de retrait, pourcentage du prix de vente demandé par les plateformes, etc.), l’opération peut s’avérer désavantageuse pour les artistes.
Pour que les NFT puissent s’inscrire durablement dans le paysage artistique, les start-up et plateformes qui surfent sur la vague du crypto art devront relever plusieurs défis : garantir la longévité des œuvres NFT, améliorer leur empreinte environnementale, lutter contre les contrefaçons, ou imaginer des modèles véritablement profitables pour les artistes.
La technologie aide à protéger les chefs-d’œuvre
Scanner laser 3D, IA, Big Data, robotique, impression 3D… Les technologies numériques augmentent les moyens à disposition des professionnels engagés dans la préservation du patrimoine culturel.
La numérisation, l’intelligence artificielle, la modélisation 3D et la robotique aident à conserver et restaurer des pièces maîtresses de la production artistique au cours du temps, à en révéler les secrets et à valoriser le patrimoine.
Numériser l’art en 3D
La numérisation d’œuvres originales permet à la fois de limiter leur manipulation et de les archiver pour garantir leur accessibilité sur le long terme. Reposant sur des techniques de plus en plus sophistiquées, elle est devenue une pratique courante pour les musées et les bibliothèques, nombreux à s’associer à des entreprises spécialisées pour conserver leurs chefs-d’œuvre sous forme numérique.
En 2018, à Londres, la Tate Modern et Arius Technology signent un partenariat pour numériser et reproduire une dizaine de tableaux de maîtres. La société canadienne collabore avec les conservateurs et les historiens du musée anglais pour capturer des scans 3D à l’aide d’une technologie propriétaire d’acquisition ultra-haute définition qui enregistre la couleur et la géométrie des peintures avec un niveau de détail extrêmement fin sans toucher la surface du tableau.
Dix ans plus tôt, la Commission européenne (CE) avait lancé un projet visant à donner accès aux objets et collections numériques des États membres. Aujourd’hui, la plateforme Europeana rassemble plus de 50 millions de documents numériques (livres, matériel audiovisuel, photographies, documents d’archives, etc.) fournis par plus de 3.000 institutions culturelles à travers l’Europe.
Un voyage dans le temps grâce à l’IA et au Big Data
Time Machine est un autre projet soutenu par la CE. Il vise à créer un gigantesque système d’information distribué, alimenté par la numérisation des collections des bibliothèques et des musées européens et exploitant les nouvelles technologies, pour explorer l’histoire et le vaste patrimoine culturel de notre continent.
Time Machine prévoit notamment la construction d’un moteur 4D, permettant des simulations spatiotemporelles grâce aux “mégadonnées du passé”. Cette technologie servira de base au développement de “machines à voyager dans le temps locales”, pour naviguer dans des sites à différentes époques (comme les ports disparus de la ville belge de Bruges). Elle servira également à la création de “mondes miroirs”, véritables jumeaux numériques de nos villes.
L’IA doit jouer un rôle clé à chaque étape de cet ambitieux projet, de la planification des ressources à numériser jusqu’à l’interprétation des documents, la vérification des faits et l’attribution des œuvres (c’est-à-dire la reconnaissance de paternité à un artiste déterminé). “L’IA et le Big Data combinés à l’expertise humaine ouvrent la possibilité de réexaminer de manière critique des interprétations historiques existantes, voire de les remettre en cause”, peut-on lire sur la page du projet. “Par exemple, l’année dernière, après avoir analysé plusieurs centaines de milliers de documents d’histoire de l’art, un système de lecture de documents basé sur l’IA a identifié des conflits d’attribution pour plus de mille œuvres d’art.”
Des fac-similés plus vrais que nature
La numérisation constitue une première étape dans la fabrication de fac-similés.
Fondé en 2001, Factum Arte est connu pour ses répliques particulièrement réalistes de tombeaux égyptiens ou de peintures célèbres. L’atelier mêle savoir-faire artisanal et technologies de pointe “maison”, comme le scanner 3D Lucida qu’il a développé pour la numérisation de tableaux et de bas-reliefs. Ce système à courte portée et sans contact capture des données haute résolution du relief et de la texture des œuvres – sans la couleur – en projetant une bande mobile de lumière rouge sur la surface. Les distorsions de la lumière dues au relief sont capturées par deux caméras vidéo et enregistrées sous forme de vidéo en noir et blanc, traitée par un logiciel intégré au scanner pour produire un modèle 3D et une image digitale des données. Les données relatives aux couleurs, récupérées grâce à un procédé photographique, sont ensuite ajoutées.
Une fois numérisée, l’œuvre peut être reproduite à l’aide de plusieurs techniques, notamment l’impression 3D.
La lasergrammétrie au secours du patrimoine architectural
Les techniques d’acquisition numérique 3D servent aussi dans le domaine architectural, notamment pour la restauration. Elles permettent de mieux appréhender les monuments historiques dans leur ensemble et dans tous leurs détails, et de reconstituer des éléments disparus.
Une de ces techniques, la lasergrammétrie, constitue une innovation technologique majeure. Bénéficiant d’une évolution rapide, avec des appareils et des logiciels de traitement de plus en plus performants, elle exploite le scanner laser 3D pour mesurer un objet dans sa globalité en reconstituant la géométrie tridimensionnelle sous la forme d’un nuage de points.
Rapide et précise, cette technique peut être couplée à l’analyse de photographies prises de différents points de vue (photogrammétrie), et permet d’acquérir d’importants volumes de données pouvant ensuite être utilisés pour réaliser des relevés architecturaux d’ouvrages complexes.
En avril 2019, les pouvoirs publics font appel à la société française Art Graphique & Patrimoine (AGP), spécialisée dans le relevé architectural, pour répondre aux besoins des équipes mobilisées pour la mise en sécurité de la cathédrale Notre-Dame de Paris après son incendie. La mission : effectuer en une journée un relevé 3D précis par lasergrammétrie et photogrammétrie de l’édifice post-incendie afin d’établir un diagnostic des dégâts.
AGP, qui travaille sur la numérisation 3D de Notre-Dame depuis plusieurs années, dispose de centaines de scans d’une précision millimétrique de la toiture ou de la flèche, les éléments disparus lors de l’incendie. Dans un second temps, les relevés réalisés dans l’urgence sont couplés avec ces données pour produire la documentation technique nécessaire à la planification des travaux de reconstruction.
La modélisation 3D pour étudier le patrimoine
Numérisation et relevés par scanner laser 3D peuvent servir de base à la réalisation de fac-similés virtuels. Jumeau numérique de Notre-Dame de Paris, réplique virtuelle de la grotte de Lascaux… Les exemples abondent. Il s’agit de reconstituer, à l’aide d’un logiciel, un édifice ou une partie d’édifice sous une forme navigable ou manipulable en s’appuyant sur des relevés, des documents iconographiques, des études historiques, etc.
Ce procédé ouvre la voie à de nombreuses possibilités en matière de recherche. Il permet de restituer des pans disparus d’un édifice, de l’explorer dans ses moindres détails ou de le replacer dans son contexte, ce qui aide à mieux comprendre les choix des architectes et des maîtres d’ouvrage de l’époque.
L’imagerie et l’IA pour révéler les secrets des toiles
Les techniques d’imagerie (rayons X, infrarouges, balayage spectral, etc.) couplées à l’IA permettent d’analyser en profondeur les œuvres et de révéler des éléments indétectables à l’œil nu. De nombreux peintres modifient en effet leur composition d’origine en ajoutant ou en supprimant des éléments (repentir), voire recouvrent totalement leur peinture. Parfois aussi, tout ou partie d’une toile est remanié par un autre peintre (repeint).
L’étude de ces transformations permet aux experts et historiens de l’art d’identifier les techniques et les matériaux employés par l’artiste, d’améliorer les attributions, ou même de découvrir de nouveaux chefs-d’œuvre. Ce fut le cas de la peinture “Le Nu accroupi solitaire” de Picasso, dissimulée sous une autre peinture de l’artiste. Révélée par des rayons X, elle a été recréée en 2021 par des chercheurs de la University College de Londres grâce à l’IA et à l’impression 3D. Un algorithme d’apprentissage profond a été entraîné à l’aide de peintures de Picasso datant de sa période bleue afin qu’il apprenne son style et le reproduise. Une fois reconstituée, la peinture a été imprimée sur une toile.
Un robot pour assembler les artefacts archéologiques
La robotique est aussi concernée ! Le projet européen RePAIR (“Reconstructing the Past: Artificial Intelligence and Robotics”) vise à mettre au point un système robotique boosté à l’IA capable de reconstituer des artefacts brisés, tels que des amphores ou des fresques. L’idée est de construire un robot équipé de bras mécaniques, qui scanne les fragments, les reconnaît et les assemble en les manipulant avec soin grâce à des capteurs avancés.
Le premier bénéficiaire de cette nouvelle méthode n’est autre que le chantier archéologique de Pompéi, dans le sud de l’Italie. Deux fresques de renommée mondiale, dont des milliers de morceaux brisés sont entreposés dans des réserves, devraient être restaurées prochainement.
Sources
- https://arxiv.org/pdf/1706.07068.pdf
- https://arxiv.org/pdf/1001.1401.pdf
- http://annaridler.com/fall-of-the-house-of-usher-ii
- https://www.cairn.info/revue-communications-2011-1-page-113.htm
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Open_Source_Initiative#%25C2%25AB_Open_source_%25C2%25BB_et_%25C2%25AB_logiciel_libre_%25C2%25BB
- https://www.vice.com/en/article/wnzm4q/how-open-source-is-disrupting-visual-art
- https://olafureliasson.net/archive/artwork/WEK108821/moon
- https://journals.openedition.org/tc/2872
- https://www.mccoyspace.com/project/125/
- https://www.beauxarts.com/grand-format/10-questions-et-reponses-pour-enfin-tout-comprendre-aux-nft/
- https://www.davidrevoy.com/article864/dream-cats-nfts-don-t-buy-them
- https://www.numerama.com/tech/702061-on-a-fait-un-nft-et-on-a-perdu-150-euros.html
- https://newsroom.tiktok.com/fr-fr/culturetiktok-fr
- https://www.nesta.org.uk/report/imagining-technology/
- https://stanfordvr.com/mm/2008/bailenson-sciencepunk.pdf
- http://project.cyberpunk.ru/idb/scifi.html
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- https://redteamdefense.org/decouvrir-la-red-team
- https://www.darpa.mil/program/communicating-with-computers
- https://mtosmt.org/issues/mto.20.26.3/mto.20.26.3.miller.html
- https://www.wired.com/story/how-choreography-can-help-robots-come-alive/
- https://www.timemachine.eu/ltm-projects/lost-ports-of-the-zwin/
- https://cordis.europa.eu/article/id/413516-bringing-european-history-to-life-with-the-big-data-of-the-past/fr
- https://www.artgp.fr/notre-dame-numerisee-en-3d-par-agp.html
- https://www.ucl.ac.uk/news/2021/oct/ai-used-reproduce-lost-picasso-nude
- https://www.chosesasavoir.com/pourquoi-jules-verne-fut-un-visionnaire/
- https://tendances.orange.fr/culture-pop/culture/diaporama-nouvelles-technologies-10-films-qui-ont-predit-le-futur-CNT000001mTbW8.html
- https://www.ladn.eu/tech-a-suivre/technologie-science-fiction-futur-realite/
- https://theconversation.com/de-la-science-fiction-aux-nouvelles-technologies-et-vice-et-versa-52650
- https://technplay.com/science-fiction-reelles-050515/
- http://blogs.lecolededesign.com/veille/2019/12/13/science-fiction-une-inspiration-de-la-realite/
- https://dailygeekshow.com/inventions-technologie-jules-verne/6/
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Hologramme
- https://www.linflux.com/litterature/lintelligence-artificielle-dans-la-science-fiction/