L’ingéniosité humaine en action au bénéfice de l’innovation
Faire plus avec moins… Voici le crédo de l’innovation frugale, une philosophie et un processus créatif qui visent à concevoir des solutions ingénieuses avec peu de moyens, capables de changer le quotidien de millions de personnes.
L’innovation frugale s’inspire du concept indien « Jugaad », ou l’art de faire plus avec moins dans des conditions difficiles. Dans une interview accordée au magazine Makery, Navi Radjou, son principal promoteur, définit le mot « comme la résilience créative, ou l’esprit de débrouillardise, qui vous permet de transmuter l’adversité en opportunité et concevoir une solution frugale à tout problème avec peu de moyens ».
Un mode d’innovation né dans les pays en développement qui s’exporte en Occident
L’innovation frugale consiste donc à répondre à un besoin spécifique de la manière la plus simple, efficace et adaptée possible. Il s’agit de réduire la complexité des moyens mis en œuvre pour développer une solution dans un contexte où l’innovateur ou l’entrepreneur dispose de peu de ressources financières ou matérielles. Comme le soulignait Navi Radjou dans sa célèbre conférence TED : « Lorsque les ressources externes sont limitées, il faut chercher à l’intérieur de soi-même pour y puiser la ressource la plus abondante : l’ingéniosité humaine. .
La solution envisagée doit en outre pouvoir s’adresser à un marché « Bottom of the Pyramid » (la base de la pyramide), c’est-à-dire aux populations les plus pauvres qui n’ont généralement pas accès aux produits et services développés par les entreprises occidentales dans leurs laboratoires R&D. Ainsi, la simplicité permet non seulement de diminuer les coûts de fabrication, mais aussi le prix de vente. La solution est dépouillée au maximum sans toutefois transiger avec la qualité. Ce qui différencie l’innovation frugale des low-tech.
L’innovation frugale a émergé dans les pays en voie de développement, notamment en Asie (Inde) et en Afrique. Les fortes contraintes socio-économiques, qui imposent aux individus de déployer des trésors d’ingéniosité et avec une bonne dose de système D, en ont fait un terreau fertile et favorable à l’épanouissement de ce mode d’innovation. Aujourd’hui, les entreprises occidentales (aussi bien des grands groupes que des start-up) s’inspirent de ses principes. La frugalité est perçue à la fois comme un moyen d’innover mieux, plus rapidement et à faible coût, et de répondre aux grands enjeux auxquels les pays développés sont confrontés comme la raréfaction des ressources, l’exigence de durabilité et d’efficacité énergétique des produits, l’augmentation des disparités sociales, etc.
Cet intérêt croissant pour l’innovation frugale la rend « universelle dans sa portée et sa pratique » (elle est aujourd’hui pratiquée dans des contextes urbains et ruraux, dans des pays pauvres et riches, par des entrepreneurs sociaux ou de grands groupes, des hommes, des femmes, etc.) et prouve que les pays en développement peuvent eux aussi exporter de nouveaux modèles.
Les fab labs, espaces privilégiés d’innovation frugale
Encore très ancrés dans la culture de nombreux pays en développement, le sens de la débrouillardise, l’ingéniosité, l’esprit de bricolage et la capacité à détourner des technologies existantes propres à l’innovation frugale sous-tendent également le mouvement « Maker ». Né aux États-Unis au début des années 2000, et issu de la culture Do it yourself, celui-ci s’incarne notamment dans les fab labs et makerspaces, des espaces ouverts et collaboratifs auxquels on accède librement ou moyennant une somme modique, et où l’échange et le partage (des connaissances, des ressources, des expériences) sont des vertus cardinales. Ces tiers-lieux inclusifs, qui combinent des outils de fabrication numérique dont l’usage est commun, une communauté de makers et des moyens éducatifs, permettent à n’importe quel individu de concevoir, prototyper et fabriquer des objets variés.
Ces dernières années, de nombreux fab labs et makerspaces ont fleuri en Inde et dans les pays africains, engendrant de nouvelles pratiques et contribuant au développement économique, social et environnemental des régions dans lesquelles ils se sont implantés. En Afrique, on en compte plus d’une quarantaine, selon Stéphanie Leyronas, Gwenael Prié et Isabelle Liotard, coauteurs d’un article sur le sujet. Aujourd’hui, ces espaces constituent des lieux privilégiés où se déploie l’innovation frugale pour une raison simple : « Dans l’atelier, la production elle-même doit également faire face au défi de la faiblesse des ressources financières et matérielles disponibles. ».
Cinq exemples d’innovation frugale
Difficile de parler d’innovation frugale sans donner quelques exemples concrets de solutions !