• Cette étude compare les impacts environnementaux des datacenters terrestres et orbitaux et vise à valider la faisabilité technique d’un tel projet.
• D’après Damien Dumestier, architecte système bout en bout et responsable d’étude chez Thales Alenia Space, si l’Europe arrive à concevoir un lanceur dix fois moins émissif sur l’ensemble du cycle de vie, le premier datacenter orbital pourrait voir le jour en 2050.
Pourquoi, sur le plan technique, un data center dans l’espace offrirait des avantages compétitifs aux entreprises européennes en matière de souveraineté des données ?
Damien Dumestier. La majorité des centres de données utilisés par les Européens sont localisés en dehors de l’Europe. Le rapatriement de ces centres de données nécessiterait de forts investissements, mais aussi des capacités accrues de production et de distribution d’électricité, ainsi que des moyens de communication adaptés. Ascend permettrait de déployer des centres de données européens tout en ne surchargeant pas le réseau électrique européen. Les centres de données spatiaux offriraient aussi une solution plus robuste aux catastrophes naturelles pouvant perturber les moyens terrestres. En déployant des centres de données spatiaux, les entreprises européennes seraient à l’abri des lois comme le Cloud Act qui oblige les fournisseurs de service cloud à partager les données hébergées avec l’administration des États-Unis.
Le déploiement dans l’espace pourrait réduire de façon significative l’empreinte carbone liée à l’énergie consommée par les datacenters
Ce type de projet semble a priori paradoxal sur le plan environnemental ?
Au premier abord, le déploiement de centres de données dans l’espace paraît avoir un impact environnemental plus important que de les laisser sur Terre. Mais pour une vue complète, il faut prendre en compte l’ensemble du cycle de vie du système. C’est ce qui a été fait dans le cadre de l’étude Ascend. Nous avons analysé tous les paramètres de la production, du déploiement, mais aussi des opérations des systèmes terrestres et spatiaux afin de les comparer. Sur le seul critère des émissions de CO2, environ 80% proviennent de la phase d’opération et donc de l’énergie consommée par les centres de données, pour les moyens terrestres. Le déploiement dans l’espace pourrait réduire de façon significative l’empreinte carbone de cette phase d’opération. Néanmoins, pour ce faire il faut s’assurer que la phase de déploiement ne soit pas plus émettrice que ce gain sur les opérations. Il faut donc lancer le développement d’un nouveau type de lanceur spatial éco-conçu.
Vous parlez de développer « un lanceur dix fois moins émissif sur l’ensemble du cycle de vie ». Est-ce aujourd’hui possible ?
D’après les industriels du secteur, développer un lanceur ayant un bilan d’émission de CO2 dix fois moins émissif que la génération actuelle semble faisable. L’étude Protein, menée pour l’ESA, a commencé à analyser la faisabilité d’un lanceur lourd, réutilisable et capable de déployer de grandes infrastructures en orbite. Néanmoins, ce type de lanceur n’existe pas aujourd’hui et nécessite d’être développé dans les années qui viennent. Nous parlons ici d’un lanceur capable d’envoyer 35 tonnes à une altitude de 1400 km et qui serait réutilisable jusqu’à 50 fois. L’Europe a donc ici l’opportunité de développer un nouveau type de lanceur qui serait à la fois ambitieux et performant mais qui resterait en ligne avec les objectifs du Zero Net Emission de 2050, et permettrait de réduire l’empreinte écologique du domaine spatial.
Qu’en est-il des risques de collision ?
L’orbite sélectionnée pour Ascend se situe à 1400 km d’altitude, dans une zone très peu peuplée et donc avec une population de débris spatiaux assez faible. Ascend repose sur une architecture distribuée et modulaire. Les différents éléments de l’architecture seraient connectés entre eux à l’aide de terminaux de communication optique. Les communications vers l’extérieur se feraient par laser vers des constellations de communications, et par liaisons RF vers le sol, avec le support de lien optique bord-sol.
Comme toute future mission spatiale européenne, le système Ascend sera équipé de mécanismes de prévention et d’évitement de collisions.
Suite à l’étude menée, quelles sont les prochaines étapes ?
L’étude a regroupé un consortium de 11 partenaires de spécialisations et de pays différents. Cette équipe pluridisciplinaire a su travailler en totale coopération pendant plus d’un an, et a su s’investir pour démontrer des résultats très encourageants sur la faisabilité technique, économique et sur la réduction de l’empreinte environnementale des centres de données spatiaux. Des études complémentaires sont en cours de discussion avec différentes agences européennes afin de valider les projections, mais aussi définir les feuilles de route de développements des technologies nécessaires au projet Ascend , sur 2024 et 2025. Par la suite, des phases de démonstration des technologies clés seront initiées ainsi que la définition et le déploiement en 2031 d’une preuve de concept d’architecture des centres de données spatiaux. Viendra ensuite la phase de conception et de réalisation d’un premier centre de données spatial qui sera déployé à l’horizon 2036, afin d’initier le déploiement du grand système. L’objectif étant de déployer pour 1GW de puissance de calcul d’ici 2050.
Visuel : image conceptuelle du datacenter Thales Alenia Space – crédit : Thales Alenia Space_MasterImageProgrammes