Octobre 1997. CaraMail et les chatrooms
Fin des années 1990 : l’usage d’Internet est limité par la bande passante. Les réseaux sociaux n’existent pas encore, en dehors des listes de diffusion professionnelles. Le point d’entrée d’Internet passe souvent par la boîte mail. La connexion, qui passe encore par un modem, impose des périodes d’attente lors d’échanges de messages entre utilisateurs. La France découvre ainsi les chatrooms.
Pour booster son audience et concurrencer le service d’e-mail américain Hotmail, les fondateurs de Lokace ouvrent un service d’e-mail intégrant une fonctionnalité de chat, CaraMail. Au cœur du succès des chatrooms, on rencontre des personnes inconnues du monde entier pour discuter, on oublie le temps, on est à la recherche de socialisation, de découverte d’un monde ouvert et de discussions en direct. Les utilisateurs y passent des heures, quitte à créer des queues immenses pour accéder aux ordinateurs dans les salles informatiques des universités et dans les cybercafés de l’époque (comme le raconte le chercheur Olivier Le Deuff). Une mécanique sociale addictive qui propulsera plus tard les réseaux sociaux des années 2000.
2004-2007. Facebook, Twitter… la révolution du social et du scroll vertical infini
Les lancements quasi simultanés des premiers réseaux sociaux, comme Facebook (2004) ou Twitter (2006), et du premier iPhone (2007) ont marqué une nouvelle étape dans la captation de l’attention des internautes. La technique du « scrolling » (défilement) vertical infini de l’écran, notamment sur les fils d’actualité des réseaux sociaux et l’Internet mobile, a largement contribué au succès de ces nouveaux acteurs du Web, surfant sur cet irrépressible besoin de s’offrir une nouvelle dose de dopamine… par « like » interposés.
Chaque nouvelle publication est affichée en direct, et suscite la fébrilité des utilisateurs quand ils ne sont pas connectés, de peur de « rater quelque chose ». Tout le dispositif s’inscrit dans cette logique de fréquentation continuelle ; comme le montre, par exemple, l’écran de l’application Twitter qui s’ouvre sur un récapitulatif des tweets manqués « while you were away » (« pendant que vous n’étiez pas là »).
Une récente étude du cabinet NN/g (Nielsen Norman Group), Scrolling and Attention, démontre la tendance à faire de plus en plus défiler son écran de smartphone. Aujourd’hui, 74 % des mobinautes regardent les deux premières pages, alors que 80 % en 2010 se contentaient de visionner seulement la première.
2015-2016. Notifications push, Instant Articles et AMP
Imaginées au début des années 2000 par les ingénieurs de Research In Motion (RIM), inventeur du BlackBerry, les notifications push, ces messages d’alerte envoyés à l’utilisateur d’un smartphone par le biais d’une application mobile, avaient déjà élevé d’un cran le niveau de gestion de l’attention.
Avec « Instant Article », le format lancé en 2015 par Facebook pour les iPhone, le mouvement s’accélère. Cette fonctionnalité permet un chargement beaucoup plus rapide du contenu, sans avoir à sortir de l’application Facebook, et offre une ergonomie censée favoriser sa lisibilité, augmentant ainsi mécaniquement la consultation de contenus et le temps de lecture moyen d’utilisateurs Internet de plus en plus mobiles.
Mais à ce jour, ce sont sans doute les Accelerated Mobile Pages (AMP) de Google qui poussent la logique le plus loin. Répondant à l’attente toujours croissante des internautes pour une plus grande rapidité d’affichage, le standard AMP est un nouveau format d’écriture du code source des pages Web qui s’appuie sur le HTML, mais dont la version minimaliste permet un chargement très rapide : les pages sont en moyenne dix fois moins lourdes et quatre fois plus rapides à charger. Un moyen de minimiser les frictions dues aux changements d’environnement et aux temps de chargement.
Cette volonté de vouloir délivrer le contenu à une vitesse toujours plus rapide permet aux utilisateurs de parcourir de manière plus confortable les contenus. Ils les consultent donc plus longtemps.
2013. Streaming et algorithme : la révolution Netflix
Le 1er février 2013, Netflix frappait un grand coup avec le lancement de sa série House of Cards. Depuis, le géant américain de la SVoD (Subscription Video on Demand) couple une ambitieuse stratégie de contenu à la puissance algorithmique. Entre personnalisation de l’application et suggestions sur mesure parmi un vaste choix, Netflix rationalise la pratique (déjà existante, mais informelle) du « binge watching » (visionnage boulimique) de contenus les uns après les autres sans interruption. Ainsi, à la fin d’un épisode de House of Cards par exemple, l’épisode suivant est automatiquement proposé, sauf si l’utilisateur demande son arrêt.
Le succès vient des progrès obtenus en matière d’intelligence artificielle et son algorithme de recommandation, relatés en détail sur le blog technique de Netflix, permettant d’identifier les attentes des spectateurs et de leur proposer le contenu qu’ils veulent voir avant même de l’avoir explicitement demandé. Au fil de la collecte des données de ces derniers (clics, visionnages, revisionnages, interruptions, pages vues…), la plateforme est en effet capable de générer une page d’accueil personnalisée pour chaque utilisateur.
Cette technique de personnalisation va jusqu’à la production des visuels affichés sur la page d’accueil en fonction des préférences des abonnés. Ainsi, pour le film Will Hunting, deux illustrations sont suggérées : l’une pour convaincre les amateurs de romances, l’autre pour les adeptes de comédies.
Aujourd’hui et… demain. Internet ambiant et interfaces vocales
Siri en 2011, Amazon Echo en 2015, multiplication de chatbots en 2016… Les interfaces vocales s’accompagnent d’une révolution en matière d’Internet des objets et des grands progrès techniques des nouvelles générations de réseaux (4G, 5G). L’émergence de l’Internet ambiant permet de développer une relation sans interruption et intuitive par la voix et le langage naturel. Ces interfaces seront-elles à même de supplanter peu à peu les interfaces mécaniques (clavier, souris, écrans tactiles…) ? D’ores et déjà, 20 % des recherches faites sur Google le sont à travers une interface vocale.
Toujours plus connectés avec nos smartphones et ayant accès à une infinité de contenus via notamment les nombreux réseaux sociaux que nous consultons (Twitter, Facebook, Instagram, Snapchat…), notre attention est de plus en plus fractionnée. D’où la volonté de créer des contenus courts, des applications monotâches, mais aussi des systèmes de commande, en l’occurrence vocale, qui nous permettent de consulter des contenus même lorsque nous n’avons pas directement accès à nos smartphones, en bricolant ou sous la douche, par exemple.
Dans cette tendance à nous assister au quotidien, ces nouvelles interfaces ne se contentent plus de faire office de moteurs de recherche à la manière de celui de Google qui nous fournit une liste de résultats que nous pouvons consulter et choisir. Elles deviennent des moteurs de solutions en ne présentant plus qu’un corpus réduit de réponses à notre requête orale.
Reste donc à voir comment les utilisateurs pourront continuer d’évoluer dans un environnement toujours plus riche et connecté tout en gardant la maîtrise de leur attention.
POUR EN SAVOIR PLUS sur la gestion de nos comportements et particulièrement de nos biais cognitifs dans les interfaces d’hier et d’aujourd’hui, écoutez notre podcast avec pour invités James Auger et Albert Moukheiber.