“Les réseaux d’observation alimentent et permettent d’actualiser le jumeau numérique, qui peut à son tour informer et optimiser ceux-ci, créant ainsi un cercle vertueux.”
L’Union européenne (UE) et l’ONU ont chacune lancé des projets de jumeaux numériques de l’océan (JNO) visant à développer des solutions innovantes en matière d’océanographie.
Modéliser les futurs possibles pour l’océan
Il s’agit de créer une représentation virtuelle à haute résolution de l’océan ou d’une partie de celui-ci en combinant toutes les ressources liées aux mers et aux océans. L’utilisation de technologies de calcul haute performance, d’analyse de données et d’intelligence artificielle (IA) doit permettre d’intégrer une grande variété de données et de modèles, de les transformer en informations exploitables et de fournir des outils d’aide à la décision.
La raison d’être du JNO est de fournir une description précise et complète de l’état actuel de l’océan et d’aider à prévoir son évolution. Il constitue donc à la fois un outil de surveillance continue et en temps réel (des côtes aux mers profondes, en surface comme en profondeur) et un environnement de simulation. Il sert à créer des modèles de futurs possibles et à élaborer des scénarios “What if” (“Que se passerait-il si ?”) afin d’analyser, par exemple, l’influence du changement climatique et des activités humaines sur les écosystèmes marins ou l’impact de mesures pour atténuer les risques climatiques.
Grâce à la mise en commun de données et de modèles issus de différentes sources dans un cadre unique, accessible à tous et interactif, il facilite la collaboration scientifique, les approches interdisciplinaires mêlant sciences de la nature, économie et sciences humaines et sociales, ainsi que la cocréation de solutions.
Un cadre numérique pour utiliser les informations marines
En septembre 2020, la Commission européenne publie l’appel à propositions “Mers et océans transparents et accessibles : vers un jumeau numérique de l’océan” dans le cadre du programme Horizon 2020. Ce JNO européen doit contribuer aux engagements pris par la Commission dans le cadre du Green Deal et du Paquet numérique en vue de développer un modèle numérique de la Terre de très haute précision (initiative Destination Earth). La Commission européenne estime qu’une première version devrait être opérationnelle d’ici 2024.
De plus, en 2021, les Nations unies proclament la Décennie de l’océan. La création d’une représentation numérique détaillée de l’océan est l’un des dix défis de cette résolution qui vise à aider la communauté mondiale à mettre en œuvre l’Objectif de développement durable 14 : “conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines”.
Dans ce cadre, le programme DITTO (“Digital Twins of the Ocean”), dirigé par GEOMAR, un centre de recherche océanographique situé dans la ville allemande de Kiel, vise à établir et faire progresser un cadre numérique unique, ouvert et partagé. Au sein de celui-ci, la modélisation et la simulation ainsi que les algorithmes d’intelligence artificielle et d’autres technologies permettront aux professionnels de l’océan de visualiser, manipuler et analyser toutes les données marines.
Constitué d’un jumeau numérique de base, ce cadre offrira aux utilisateurs (scientifiques, gouvernements, système onusien et société civile) la possibilité de créer leurs propres jumeaux locaux ou thématiques et de tester leurs propres scénarios pour répondre à des problèmes spécifiques, comme l’impact de l’augmentation du nombre de navires de commerce sur le degré d’acidification d’une zone de l’océan, sur une période donnée, et les effets sur les récifs coralliens.
Dans un premier temps, plusieurs prototypes de jumeaux numériques basés sur des cas d’usage d’intérêt pour la recherche et l’océanographie opérationnelle seront développés.
Le programme DITTO accueille déjà et jusqu’à fin 2027 le projet de jumeau numérique dédié à la mer Caspienne. Un “centre de données de la mer Caspienne” centralisera des archives actualisées de données, de modèles hydrodynamiques, de réanalyses atmosphériques, d’atlas électroniques, de publications scientifiques, etc.
Les composantes du jumeau numérique océanique
La construction du JNO s’appuie sur plusieurs briques technologiques et principes de gestion des données partagées.
Les systèmes d’observation, d’abord, fournissent, depuis la mer et l’espace, des données in situ et satellitaires ainsi que des modèles océaniques. Les réseaux d’observation alimentent et permettent d’actualiser le jumeau numérique, qui peut à son tour informer et optimiser ceux-ci, créant ainsi un “cercle vertueux”.
Une infrastructure de données, ensuite, garantit un accès ouvert et équitable, une interconnexion entre les observatoires océaniques et l’intégration de toutes les données disponibles – mesures in situ effectuées depuis des navires ou des systèmes autonomes en mer, observations par satellite, données historiques issues de plusieurs disciplines scientifiques, données provenant de l’industrie ou de la science citoyenne, etc. Cette infrastructure repose sur des capacités de calcul haute performance (en partie dans le cloud) et sur un cadre de gouvernance définissant les normes et les protocoles d’échange de données.
Le JNO intègre par ailleurs des outils d’analyse et de modélisation prédictives, basés sur l’IA et l’apprentissage automatique, pour traiter les données et tester différents scénarios. Enfin, une interface permet aux utilisateurs de visualiser, d’interagir et de personnaliser les données et les modèles en fonction de leurs besoins.
Ainsi, le futur JNO européen devra être compatible avec les capacités actuelles de l’UE en matière d’observation des océans (navires de recherche Eurofleets+, systèmes autonomes EuroArgo, etc.) et les infrastructures de données, de modélisation et de prévision marines bâties par les États membres. Ces dernières sont essentiellement basées sur le réseau européen d’observation et de données marines (EMODNet) et sur le service marin de Copernicus (CMEMS).
Il devra aussi permettre la mise en œuvre de données normalisées, respectant des principes reconnus par l’UE tels que les principes FAIR (données faciles à trouver, accessibles, interopérables et réutilisables).
Le jumeau numérique de l’océan contribue à améliorer les connaissances de la mer et notre capacité à la surveiller en continu. Il permet de prévoir son évolution et gérer de façon durable ses ressources, en offrant un cadre unique facilitant la coopération internationale et les collaborations scientifiques. Il constitue un futur outil unique de gouvernance de cet espace crucial pour le climat, l’économie, la biodiversité et l’alimentation.