« Le véritable enjeu, c’est comment rester à un niveau d’usage d’une simplicité extrême. »
Avec la multiplication de nouvelles interfaces, quel est l’avenir de la télécommande ? Ses jours sont-ils comptés ?
Pas du tout ! L’utilisateur a besoin de pouvoir commander, piloter ses services. Il existe plein de façons de le faire, mais la télécommande de la télévision est un moyen totalement légitime, parce qu’ancré dans les usages d’à peu près tout le monde. Si on demande à un utilisateur de se servir de sa télé sans télécommande, il va être complètement perdu ! Mais demain, cette télécommande, on va lui demander d’être un objet beaucoup plus actif qu’aujourd’hui, un objet qui comprend, qui anticipe, qui accompagne, qui facilite l’interaction. Pourquoi ? Parce que le service lui-même s’enrichit. Même si j’ai l’habitude de dire que 95 % des utilisateurs des télécommandes de télévision chez Orange font du « P+/P- » (les touches qui permettent de changer de chaîne, NDLR), les usages évoluent doucement.
Comment travaillez-vous chez Orange pour inventer la télécommande de demain ?
Nous observons les gens… Nous mettons de vrais clients dans des salles de test et nous regardons. C’est tout bête, mais ça permet de voir si le client trouve facilement ce qu’il cherche, sans frustration ni temps perdu. Nous travaillons bien sûr avec des designers, car dans une télécommande, il est question de design, d’ergonomie, d’émotionnel : les doigts doivent tout trouver sans raccourci. La dimension technologique est également au cœur de notre travail. Quand il a fallu changer le système de reconnaissance de télécommande infrarouge, pas forcément le plus efficace, on est passé à l’électromagnétique, mais les réactions des utilisateurs n’étaient pas unanimes. On a donc adopté le Bluetooth (qui n’oblige pas à diriger la télécommande vers la télévision pour l’allumer, NDLR). Ça n’a l’air de rien, mais cela semblait être le bon compromis. On s’est aussi posé la question de mettre un clavier sur la télécommande ou non. Une petite fraction de geeks a adoré, mais la majorité des gens a trouvé ça horrible ! Or il faut assurer à tous le meilleur des mondes…
La télécommande du futur, à quoi va-t-elle ressembler ?
Il y aura toujours une télécommande. Ça ne veut pas forcément dire un objet matériel, mais il y aura toujours « quelque chose », qu’on appellera « télécommande », pour nous guider dans un panel de services toujours plus riche. Ça pourrait être un objet mutualisé : on parle de télécommande télé, mais pourquoi pas demain, la télécommande de la maison ? Par exemple, Amazon ou Google proposent des objets pour piloter des services de la maison en commande vocale : Amazon Echo, Google Home ; Apple commence à y réfléchir. Le véritable enjeu, c’est comment assurer un niveau d’usage d’une simplicité extrême.
Chez les constructeurs, on parle beaucoup d’un objet qui ressemblerait à une tablette. Qu’en pensez-vous ?
Il y a quatre ans, j’avais énormément poussé chez Orange pour qu’on développe un objet qui s’apparenterait à une tablette. Comme l’objet fonctionnait avec une application, l’usage était graphique, on visualisait ses choix de façon plus évidente. Et les contenus d’une tablette étant plus variés que ceux d’une télécommande lambda, l’usage était enrichi. Enfin, une tablette, vous pouvez la reconfigurer à volonté, créer des raccourcis, faciliter sa praticité. Sur le papier, c’était génial, mais après plusieurs tests sur des panels de consommateurs, ce fut un four total ! Est-ce que ça veut dire que ça sera un four dans un an ? Pas forcément, parce que les usages ont changé. La tablette est devenue un vrai moyen de consommation de services, mais la tablette comme télécommande, c’est encore très clivant. En France, Orange vend Stick TV, un décodeur TV où le smartphone sert de télécommande : les jeunes adorent, les utilisateurs plus âgés un peu moins.
Et la voix, quel rôle peut-elle jouer dans le futur de la télécommande ?
Aujourd’hui, la dimension vocale arrive tout doucement dans nos produits TV. Les services de télévision offerts par Orange s’enrichissent, se diversifient. Ce que l’on appelle une interface linéaire, autrement dit effectuer plusieurs actions à la suite pour atteindre le service ou le programme que l’on souhaite, devient difficile à valoriser. Le client souhaite que son service ou son programme se lance au premier clic, pas après plusieurs actions. Une interface vocale ou sensorielle, c’est un mot, un geste : on peut donc faire passer l’accès au service de quatre clics – comme auparavant – à une seule interaction. C’est un gain de temps inégalable. Mais aujourd’hui, les gens ne sont pas éduqués à cette technologie. Là encore, les geeks vont adorer, mais tous les autres, pas trop. Ma maman, vous ne pouvez pas lui mettre une reconnaissance vocale sur sa télécommande, elle va être totalement perdue. En revanche, dans neuf mois, avec un peu d’éducation, peut-être ! Il faut que les gens s’approprient ces nouveaux modes d’interaction petit à petit, que cela devienne naturel et qu’ils en demandent plus…